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Le futur se construit au présent

parHélène TIMOSHKIN, consultante senior au sein du cabinet Orphoz

Articles de la revue France Forum

Il y aura eu un « avant » et il y aura un « après » Covid-19.

Ce message, largement diffusé, repose sur l’idée que la crise sanitaire a révélé des problèmes plus profonds et participé d’une prise de conscience de leur interconnexion. Six mois après la généralisation de la pandémie, on peut oser le constat qu’en effet le télétravail s’est durablement installé, que la littéracie numérique a fait un saut qualitatif et que les pistes cyclables se sont allongées dans les centres urbains. toutefois, malgré ces changements positifs, on peine toujours à déceler une inflexion, encore moins une rupture, dans les schémas de pensée dominants. Tant et si bien qu’il est permis de se demander si l’après-Covid sera finalement si différent de l’avant.

En témoigne, par exemple, la proposition de politique publique élaborée par les participants des rencontres économiques d’Aix-en-Provence. Organisé par le Cercle des économistes, cet événement rassemble, chaque année, ce que le pays compte de références en matière économique, issues des mondes académique, politique ou social, pour traiter une problématique qui fait l’actualité. Sans surprise, l’édition 2020 a été consacrée à la relance de l’économie nationale après le double choc infligé par la pandémie et les deux mois de confinement.

La déclaration finale synthétise les discussions et formule des propositions en huit axes. Les sept premiers axes s’attachent à redresser une économie affaiblie et à affermir ses fondations sociales et politiques. La question du long terme, les enjeux climatiques et la prise en compte des intérêts des générations futures ne figurent qu’en dernière position, alors que ces thématiques ont occupé une place centrale dans les débats. Si elle peut se comprendre au regard de l’ampleur de la récession, cette mise au premier plan de la relance économique ainsi que l’insistance sur l’emploi et sur son pendant, le chômage, n’en témoignent pas moins d’une certaine continuité dans la façon de penser l’économie et l’action publique.

Les auteurs de la déclaration justifient leur parti pris par la nécessité de séparer le court et long terme. D’abord réparer, puis prendre le temps de réfléchir et, enfin, s’attaquer aux sujets qui fâchent. Cette position présente néan - moins quatre problèmes. Premièrement, cela n’a pas marché par le passé et rien ne permet d’affirmer qu’aujourd’hui sera différent. Que l’on se rappelle la crise financière qui a ébranlé le monde au cours de la décennie écoulée : la même focalisation sur une relance à court terme de l’économie a contribué à occulter la nécessité d’une refonte systémique. Le deuxième problème, c’est qu’on n’a malheureusement plus le temps d’attendre. Dans leur dernier rapport, les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) soutiennent que la communauté mondiale dispose d’un sursis de dix ans pour opérer une bascule radicale de ses modes de fonctionnement et éviter un dérèglement climatique dangereux et irréversible. Le troisième problème tient à l’affirmation que nous aurions besoin de temps pour réfléchir collectivement aux solutions. Il est vrai que la réflexion et la délibération collectives constituent le substrat d’une société démocratique. Mais il est vrai aussi que cette réflexion a déjà eu lieu et qu’une part importante des solutions ne font plus débat et ne demandent qu’à être appliquées. Deux exemples récents en sont la preuve : le résultat des travaux de la Convention citoyenne pour le climat et les contributions du Shift Project. Enfin, la position des auteurs de la déclaration souffre d’un quatrième problème, plus fondamental : il n’est pas possible de séparer le court et le long terme pour la raison simple que le futur se construit au présent.

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