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Les neurosciences au secours du climat

parHélène TIMOSHKIN, consultante senior au sein du cabinet Orphoz

Articles de la revue France Forum

Au début du mois d’octobre 2019, cent cinquante Français tirés au sort ont débattu des solutions concrètes pour « réduire de 40 % l’empreinte carbone nationale au cours de la prochaine décennie dans un esprit de justice sociale ».

Objectif : traduire les arbitrages en textes de loi pour le début de l’année 2020. Les travaux de cette convention citoyenne d’un nouveau genre se déroulent dans un quasi-silence médiatique qui surprend, étant donné le caractère inédit de l’affaire. En effet, il s’agit d’une nouveauté institutionnelle dans le paysage de la Ve République puisque les textes proposés en janvier devraient être directement appliqués par voie règlementaire, soumis à référendum ou débattus tels quels à l’Assemblée nationale. Mais le plus intéressant est ailleurs : en rendant l’exercice démocratique plus participatif, cette initiative permettra, si elle réussit, de dépasser la difficulté politique à faire adopter des textes contraignants.

L’enjeu est de taille car la transition écologique ne se fera pas sans mesures collectives ambitieuses qui, nécessairement, bousculeront les habitudes et les budgets d’une partie de la population. C’est d’autant plus vrai que les récentes avancées des neurosciences remettent en question la probabilité d’un « verdissement » spontané des comportements. On comprend mieux aujourd’hui la mécanique interne du cerveau humain et le lien qu’elle entretient avec le mode de vie occidental consumériste qui rend si difficile le passage à une sobriété énergétique et matérielle. Dans son dernier essai1, le neuroscientifique français Sébastien Bohler explique pourquoi, en dépit d’un sentiment d’urgence grandissant, la prise de conscience écologique peine à se traduire en actes.

Pour l’auteur, l’Homme se distingue des autres espèces par un cerveau infiniment plus complexe et performant, doté d’un néocortex capable d’abstraction, d’imagination, d’anticipation et de calcul. Le problème, c’est que le centre de commande de cette puissante machine est situé dans un petit organe appelé striatum, l’une des structures les plus anciennes du cerveau, également présente chez les autres espèces animales. Le striatum a pour fonction principale d’assurer la survie de l’individu et la reproduction de ses gènes. Organe clé de la motivation, il favorise, par une sécrétion de dopamine, les comportements qui contribuent à remplir cette fonction. D’après Sébastien Bohler, le striatum s’intéresse à cinq objectifs principaux : s’alimenter, avoir des relations sexuelles, minimiser l’effort, accéder à l’information et accroître son rang social. La dopamine sécrétée chaque fois que l’un de ces objectifs est atteint procure un sentiment de plaisir et incite puissamment et inconsciemment à répéter les comportements qui y sont associés. La modération est étrangère au striatum : le fonctionnement du circuit de la récompense pousse le sujet à vouloir toujours plus de nourriture, de sexe et de pouvoir, même si cela doit lui nuire à long terme. Ainsi, toute l’intelligence humaine développée dans le néocortex a été, depuis des années, mise au service d’un striatum court-termiste et insatiable. Et si, par le passé, l’indisponibilité des ressources ou le jeu des normes sociales contraignantes ont pu freiner ces pulsions primaires, il n’existe guère plus de garde-fous dans nos sociétés d’abondance matérielle et de divertissement. Autrement dit, ce mécanisme interne qui fut un fidèle allié dans un environnement hostile où, chaque jour, la survie était remise en jeu, se révèle bien peu adapté à la modération que semble imposer la nouvelle donne climatique.

Il est évidemment possible de juguler ses instincts primaires grâce à un effort conscient de volonté et de maîtrise. L’essai n’écarte pas cette possibilité et l’appelle, au contraire, de ses voeux, tout en en soulignant l’extrême difficulté. S’il n’en tire pas directement de conclusion politique, l’exposé de Sébastien Bohler permet de comprendre pourquoi les mesures collectives non contraignantes restent peu suivies d’effet, à l’instar des engagements pris lors de sommets internationaux successifs. our inscrire les comportements sur une trajectoire plus durable, nous ne saurions faire l’économie de mesures politiques contraignantes. C’est pourquoi, en habillant la contrainte du caractère le plus démocratique que la Ve République ait connu, l’expérience de la convention citoyenne pour le climat est un événement politique majeur dont nous devrions tous nous saisir.


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1. Le Bug humain, Robert Laffont, 2019.

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