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Le statut de société à mission, un pari sur l’avenir

parHélène TIMOSHKIN, consultante senior au sein du cabinet Orphoz

Articles de la revue France Forum

Depuis le vote définitif de la loi Pacte au printemps 2019, le droit français permet aux entreprises de concilier la recherche du profit avec la poursuite d’objectifs sociaux et environnementaux.

Ont été introduites dans le droit les notions d’« intérêt social », de « raison d’être », de « mission », et un décret d’application est venu en préciser les contours, au début du mois de janvier 2020. Concrètement, la loi permet à toute entreprise d’inscrire dans ses statuts une raison d’être ou de se définir une mission sociale ou environnementale en s’inspirant des Benefit Corporations du droit anglo-saxon. Alors que la raison d’être est purement intentionnelle et déclarative, le statut d’entreprise à mission se veut plus sérieux, puisqu’il exige la définition d’objectifs précis et un pilotage interne et externe.

La mesure semble avoir reçu un accueil favorable dans les entreprises, qui n’ont pas attendu la publication du décret d’application pour l’adopter. Selon Capitalcom, plus d’un tiers des entreprises du CAC40 ont abordé le sujet de la raison d’être au cours de leurs assemblées générales d’actionnaires et la France compte déjà près d’une dizaine d’entreprises qui ont publiquement exprimé leur souhait de devenir des sociétés à mission. S’il faut se réjouir de voir juridiquement consacrée la notion de responsabilité sociale et environnementale des entreprises cinquante ans après l’émergence de la notion dans le débat public, sa portée réelle pose question.

Le premier doute quant à l’efficacité de la mesure tient à son côté non contraignant. Ainsi, rien ne permet de sanctionner, en droit, une société dont les activités ne respecteraient pas la raison d’être définie statutairement. De même, contrevenir aux objectifs fixés dans le cadre de sa « mission » a pour seul effet de faire perdre à l’entreprise le statut de société à mission. Tout l’enjeu consiste à savoir comment articuler une mission sociale ou environnementale avec les objectifs de rentabilité et d’accroissement des profits. En cas de conflit, fréquent et inévitable, l’absence d’incitation à faire primer l’objectif social sur l’objectif de rentabilité fait de la mission ou de la raison d’être une simple intention. La loi Pacte n’enjoint qu’à « considérer les enjeux sociaux et environnementaux » (article 1833 du Code civil modifié), non à les respecter.

Et puis, si la loi introduit dans le droit la notion d’intérêt social, elle se garde d’en définir le contenu, laissant les entreprises libres d’interpréter le sens. sans doute, le côté non contraignant du statut de société à mission est-il lié à cette absence de définition de l’intérêt social. En effet, comment arbitrer entre ce qui est bon pour la société et ce qui ne l’est pas en l’absence d’une définition et d’un référentiel partagés ? Dans une économie dont la seule boussole semble être la croissance du PIB pour elle-même, l’absence d’un référentiel clair quant aux objectifs collectifs rend possible une variété de « missions » et de buts sociétaux sans qu’il soit possible de les hiérarchiser de façon objective. Il semble facile, pourtant, de définir les contours de l’intérêt social sans réinventer la roue. Un embryon de référentiel commun existe déjà sous la forme des objectifs du développement durable (ODD) définis par l’Organisation des Nations unies et adoptés par l’ensemble des pays du monde. Les entreprises pourraient ainsi oeuvrer à contribuer à un ou plusieurs de ces objectifs tout en ne faisant pas reculer les autres, et leurs efforts pourraient être efficacement pilotés au travers des 232 indicateursconcrets qui accompagnent les ODD.

En ne définissant pas clairement ce qui constitue l’intérêt collectif et en ne prévoyant pas de sanctions pour les entreprises qui dérogeraient à leur mission, le droit français en laisse la responsabilité à la société civile. Autrement dit, le pari est que l’absence de « mission » agisse comme un repoussoir pour les nouvelles générations d’employés et de consommateurs, de plus en plus militantes. Et que, à l’inverse, la définition d’une mission permette de sanctionner l’entreprise qui y dérogerait par un mauvais buzz médiatique. Pari dont le principal risque est de voir l’entreprise à mission s’ajouter à la longue liste de labels – entreprises responsables, engagées, pollinisatrices, contributives… – dont la portée peine à se matérialiser. 

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