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Retrouver une souveraineté, construire la solidarité européenne

parSandro GOZI, ancien secrétaire d’Etat italien aux Affaires européennes

Articles de la revue France Forum

Un stress test salutaire.

La pandémie de Covid-19 a mis une grande partie de l’humanité à l’arrêt total pendant trois mois. Une situation inédite subie collectivement qui doit inciter à regarder l’avenir différemment. En Europe, cet avenir doit être envisagé comme un cap commun à franchir pour faire face à d’éventuelles crises futures.

Les effets de cette épidémie ne doivent pas être seulement vus comme une fatalité qui pèsera pendant des années sur l’économie et la qualité de vie au sein de l’Union européenne (UE). Au contraire, ce doit être l’occasion de se réinventer en tirant les leçons des dysfonctionnements que la crise a mis en exergue. Le plan de relance next Generation EU et les négociations en cours sur les nouvelles ressources propres de l’UE et la transformation écologique et numérique de son économie sont la preuve d’une prise de conscience historique sur le besoin de renouveler la mission et la forme de l’UE.

Quels contours devra-t-on donner à l’UE ? Comment répondre efficacement aux attentes de ses citoyens ? Comment regagner une véritable souveraineté européenne ? C’est sur ces points qu’il sera nécessaire de trancher dans les prochains mois. Pour cela, une nouvelle méthode s’impose : solidarité, longueur de vue et participation citoyenne doivent en être les maîtres mots.


D’UNE ASSOCIATION UTILITAIRE D’ÉTATS À UNE COMMUNAUTÉ DE DESTINS. Au début de la crise, on a cru assister à l’épilogue d’un film d’horreur dystopique : fermeture, chacun pour soi, méfiance réciproque… les stéréotypes nationaux ont été réveillés. Or, la crise de la Covid-19 a mis en évidence les interdépendances qui lient les Etats européens. Les conséquences de la fermeture des frontières se sont, par exemple, fait ressentir et ont rappelé l’importance de la liberté de mouvement.

Au-delà du confort de passer les frontières sans encombre, l’arrêt des déplacements a mis en échec les modèles économiques de tous les pays européens, fortement dépendants de l’ouverture et des échanges, et fait planer sur l’Union l’ombre d’une crise économique aiguë.

Les Européens ont découvert avec stupeur l’importance de leur dépendance à la Chine, notamment s’agissant des importations de matériel médical. L’incapacité à équiper les hôpitaux et les citoyens de produits de protection basiques ou encore à se procurer les molécules pharmaceutiques les plus élémentaires a été néfaste pour la confiance des citoyens envers les institutions. Ces derniers n’ont pas compris pourquoi l’UE ne pouvait pas répondre rapidement à leurs besoins.

Cette crise a montré le côté sombre de l’Union européenne : réponses en ordre dispersé, manque de solidarité immédiate entre Etats membres, actes égoïstes, etc. Mais elle a aussi mis en lumière le meilleur : hôpitaux qui accueillent des patients d’autres pays ; plan d’action pour coordonner les efforts de recherche médicale, thérapie et diagnostic. Preuve que même sans prérogatives propres, quand il existe une volonté politique, l’UE est là et peut agir.

Loin d’être une simple mesure de gestion de crise, le plan de relance et de transformation de l’économie européenne Next Generation EU, impulsé par le Parlement européen, le président français, Emmanuel Macron, et la chancelière allemande, Angela Merkel, marque un changement radical dans la façon de concevoir le lien entre les Etats européens. Ce plan remet les pendules à l’heure en assumant – enfin ! – que la solidarité est indispensable à la préservation de la prospérité et du modèle social de l’UE.

Plus que jamais, les Européens doivent être conscients de partager une communauté de destins. L’Europe doit être repensée afin qu’elle puisse fournir à ses concitoyens des biens publics que les Etats ne sont pas en mesure de garantir. Pour cela, trois grands chantiers visant à rendre aux européens leur souveraineté économique, sociale et sécuritaire doivent être ouverts.

La pandémie de Covid-19 est un cataclysme naturel qui met en évidence les limites du système économique actuel. elle rappelle qu’en temps de crise les partenaires commerciaux agissent selon leurs intérêts propres et que chaque Etat doit veiller à s’approvisionner lui-même en biens et services essentiels.

L’UE doit être le cadre d’un effort collectif visant à retrouver une indépendance technologique, numérique, industrielle et agricole. N’est-il pas ahurissant que 40 % des brevets en matière de 5G soient européens, mais qu’il soit nécessaire de faire appel à Huawei pour la déployer sur le territoire européen ? Un consensus démocratique doit être atteint à l’échelle de l’Union pour permettre d’exploiter le grand potentiel intellectuel européen et d’ouvrir la voie à une renaissance industrielle européenne. Les transitions écologique et numérique offrent de grandes possibilités pour renouer avec la prospérité sur le continent européen. Il est essentiel de la saisir et d’investir dans la transformation de l’économie afin de la rendre plus durable et plus résiliente.

L’UE doit disposer de moyens pour investir dans son avenir avec un budget véritablement européen. La proposition consistant à émettre de la dette européenne démontre qu’ensemble les Etats membres peuvent retrouver une puissance de tir à la hauteur du défi.

Le plan de relance est d’autant plus important qu’il consiste après tout dans un pari sur un avenir commun : convaincus des bénéfices d’un plan d’investissement massif commun, les Etats sont disposés à s’endetter ensemble. Ceci requiert également de retrouver une confiance réciproque qui avait été perdue lors des crises financière et migratoire. Le débat sur l’avenir de l’UE devra impérativement se pencher sur la question des ressources propres et d’un fonctionnement plus efficace et démocratique de l’Union.


CONSTRUIRE UNE EUROPE PLUS SOCIALE ET PLUS DÉMOCRATIQUE. L’UE doit se rapprocher des Européens en devenant plus compréhensible, plus familière et plus accessible. L’Union doit être perçue comme la meilleure alliée face au nouveau désordre mondial et répondre aux attentes des peuples.

La Conférence sur l’avenir de l’Europe offre la possibilité de réconcilier les Européens avec l’UE. Il est alors impératif de leur donner une place centrale afin qu’ils soient pleinement impliqués dans les réformes à mener. Une assemblée citoyenne constituée de quelques centaines d’Européens tirés au sort serait une piste pertinente à creuser.

À l’avenir, si l’UE veut faire vite et mieux, il faut que les citoyens se sentent européens tout autant qu’ils se sentent français, italiens, roumains ou suédois. Il faut qu’ils partagent une vision commune pour un destin commun. Sans cela, les réflexes nationalistes continueront de compromettre la capacité d’action de l’UE.

Pour y arriver, il est nécessaire de construire un espace politique transnational où les citoyens pourront forger des consensus autour de sujets primordiaux pour l’avenir de tous. La création de listes transnationales pour les élections au Parlement européen est une initiative clé car ces listes permettraient l’émergence de véritables mouvements européens qui rassembleraient les citoyens selon leurs valeurs et non leur nationalité. Il est impératif de renforcer les instruments de participation citoyenne directe et de transformer le Parlement européen en un parlement à part entière, avec un véritable pouvoir d’initiative.

Cette pandémie est, par ailleurs, un stress test pour la politique étrangère et de sécurité européenne. Des menaces hybrides mettent en danger la sécurité physique des citoyens, mais également la stabilité des systèmes politiques. Les attaques terroristes de ces dernières années ou la désinformation organisée par des puissances étrangères en sont des exemples marquants. Il est impératif d’investir dans des outils militaires afin d’asseoir l’autonomie européenne là où elle doit protéger ses intérêts géopolitiques propres. La chancelière allemande, Angela Merkel, a reconnu le besoin de « transformer l’Europe durablement » en poussant l’UE à « se positionner, de manière souveraine et responsable, face à un ordre mondial qui se transforme à une vitesse vertigineuse1». Enfin ! On aurait souhaité entendre ces mots au lendemain du discours de la Sorbonne de Emmanuel Macron, en septembre 2017, mais ce n’est pas trop tard pour agir et transformer l’Union.

La sécurité passe aussi par les rapports de l’UE avec ses voisins. En tant que puissance régionale, l’UE doit être en mesure de contribuer à la stabilité dans son voisinage. Un nouveau partenariat UE-Afrique est essentiel pour assurer la sécurité et contrer les tentatives de colonisation de la Chine menées à travers sa nouvelle route de la soie.


 

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1. Discours de la chancelière fédérale Angela Merkel à l’occasion de la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne prononcé devant le Parlement européen à Bruxelles, le 8 juillet 2020. Consulté le 15 juillet 2020.
https://www.eu2020.de/eu2020-fr/actualit%C3%A9s/reden/discours-
chanceliere-merkel-parlement-europeen/2367072

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