Valéry Giscard d'Estaing, le grand modernisateur

France Forum, n° 83, avril 2022 - Printemps

Revue France Forum

À quoi reconnaît-on un grand président de la République ? À l’évidence, à sa capacité à donner envie à des milliers de jeunes de s’engager en politique.

Ce fut incontestablement le cas de Valéry Giscard d’Estaing. Des figures politiques connues, Premier ministre ou anciens ministres – Jean-Pierre Raffarin, Marielle de Sarnez, Dominique Bussereau, Gilles de Robien, Hervé de Charrette, François Bayrou, Gérard Longuet –, mais aussi une multitude d’élus locaux concèdent bien volontiers à quel point la campagne de 1974 et l’élection de VGE furent déterminantes dans leur parcours politique. Ils s’en souviennent tous avec émotion. Pour le grand éditorialiste et journaliste politique Alain Duhamel qui est interrogé dans ce numéro de France Forum, la campagne de 1974 reste d’ailleurs la référence. Une campagne éclair, une correspondance forte entre un candidat et une génération, un programme marquant un changement d’époque, des meetings que tous se rappellent encore, un débat télévisé reesté célèbre par sa réplique « Vous n’avez pas, Monsieur Mitterrand, le monopole du cœur ! Vous ne l’avez pas » ; il y a bien la campagne de 1974 et les autres.

Cette nostalgie, nous l’avions déjà perçue, en 2016, lorsque l’institut Jean Lecanuet avait organisé un dîner autour du président : le temps d’une soirée, l’Union pour la démocratie française avait repris vie. Peut-être faut-il lire dans cette nostalgie si forte de 1974 le regret des giscardiens d’une présidence écourtée. 1974 se lit en liaison avec 1981, la victoire avec la défaite, la joie avec la tristesse, les souvenirs avec les regrets, l’action avec l’oubli. L’histoire est écrite par les vainqueurs, on le sait, et la geste mitterrandienne, puis chiraquienne, a relégué pendant presque trois décennies le septennat Giscard au rang de parenthèse post-gaullienne sans relief.

Ce numéro de France Forum, comme plusieurs colloques tenus à l’occasion du premier anniversaire de la mort de l’ancien président, assume cette mission de réhabilitation. Loin d’être une parenthèse, le septennat de Giscard est sans doute le plus prolixe en réformes et en changements de tous les mandats présidentiels de la Ve République. Des réformes connues comme la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse ou le droit de vote à 18 ans, mais d’autres aussi discrètes que pérennes comme la loi Scrivener sur la protection du consommateur ou la possibilité pour l’opposition parlementaire de saisir le Conseil constitutionnel. Si Zola a inventé les intellectuels, Giscard a inventé la société civile ; il lui a donné la parole, il l’a introduite dans la vie politique, il a ouvert le chemin sur lequel François Mitterrand s’est ensuite engagé avec les radios libres ou les grandes lois de décentralisation.

Enfin, ce n’est pas l’Académie française qui rendra Giscard immortel. C’est l’Europe, bien sûr. Elle lui doit tant : le couple franco-allemand, le Conseil européen, le Parlement européen, le système monétaire européen. La productivité d’un Jean Monnet avec la vision politique en plus. Ni Mitterrand ni Chirac et tous leurs zélateurs n’auront réussi à faire oublier Giscard l’Européen. L’Europe, le combat de toute une vie, une des plus belles mécaniques intellectuelles du XXe siècle mise au service du plus grand projet de ce même siècle. Le non au référendum de 2005 sur la constitution européenne n’aura pas entamé ce crédit. Au contraire même. Il inscrit Giscard dans la lignée des utopistes, des rêveurs, des combattants de l’idéal. Il rejoint Victor Hugo, l’abbé de Saint-Pierre, les partisans des Etats-Unis d’Europe et de la paix éternelle.

Un septennat qui a fait entrer la France dans la modernité, une vie au service du projet européen, l’œuvre de Giscard est enfin reconnue. Oui, l’homme du passif raillé par son successeur au palais de l’Elysée est redevenu l’homme de l’actif et les très nombreux hommages qu’il a reçus de tous les bords politiques le lendemain de sa mort témoignent de ce bel héritage ! Puisse cette livraison de France Forum conçue avec l’aide de son fils Louis et de la fondation Valéry Giscard d’Estaing servir également cet hommage. 

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