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« You'll never walk alone »

parNicolas VIEL, musicologue

Articles de la revue France Forum

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Certaines chansons ont un destin étrange. C’est le propre du genre, comme le diagnostiquait Debord, en 1967, dans La Société du spectacle. Les objets médiatiques deviennent autonomes à partir du moment de leur création et mènent leur propre vie, faite d’emprunts, de récupérations, de transpositions, de collages. Le cas de « You’ll never walk alone » semble bien emblématique de cette mécanique d’échappement.

À l’origine, cette chanson a été composée par les incontournables Rodgers et Hammmerstein pour leur comédie musicale Carousel, en 1945. Ce pastiche des chansons invoquant le courage face à l’adversité est chanté par une femme, Nettie dans la pièce, qui tente de réconforter sa cousine Julie, devenue veuve dans des circonstances tragiques. La chanson est investie d’un rôle précis dans le drame, en particulier dans le finale. Elle sera reprise par une kyrielle d’artistes, de 1945 jusqu’à aujourd’hui. Elle est notamment reprise en juillet 1964 par un groupe de Liverpool concurrent des Beatles, Gerry and the Pacemakers. Est-ce la fierté des citoyens de cette ville pour ces musiciens qui furent les premiers à figurer trois fois de suite premiers au top 100 anglais ? Dès cet été-là, le club de football de Liverpool fait de cette mélodie son hymne officiel qui reste encore aujourd’hui un marqueur très fort de l’identité de la ville. Elle sera reprise plus tard par les Celtics de Glasgow, puis par beaucoup d’autres clubs. En octobre 1971, le groupe de progressive rock Pink Floyd l’utilise sous la forme d’un collage, dans un album intitulé Meddle. L’enregistrement de « You’ll never walk alone » est superposé à la piste initiale de la chanson « Fearless », mais dans une version très particulière, chantée par les membres d’un club de supporteurs du Liverpool Football Club au cours d’un match. En d’autres termes, l’auditeur entend en même temps, et dans deux tons différents, la version studio de la chanson « Fearless » et la version stadium de « You’ll never walk alone ».

À la première écoute, les deux chansons télescopées n’ont pas vraiment de thématique commune, mais à la fin, le texte évoque une foule attentive qu’on associe facilement à la présence réconfortante des supporteurs. À la seconde écoute, et si l’on a mauvais esprit, on y voit plutôt l’hommage ironique d’un groupe de rock progressif londonien sur sa pente ascendante (après le génial Atom heart mother, en 1970) à Liverpool, patrie des chanteurs de variété, l’année où les Beatles se déchirent et sortent chacun de leur côté un album solo. à la fin de la piste, la répétition de plus en plus rapide de cris inarticulés vient adresser comme un rire moqueur à cette foule enthousiaste changée en simple objet sonore. Que nous marchions seuls ou pas, qu’elles soient collages, récupérations ou pastiches, les chansons qui nous accompagnent viennent parfois de loin, simples objets sonores soumis aux caprices des foules. Peut-on dire d’elles, avec Lamartine :

Objets inanimés avez-vous donc une âme
Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?
 

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