FF 62 - Visuel article VIEL - PANORAMA

Musique : de la potatose et ses remèdes

parNicolas VIEL, musicologue

Articles de la revue France Forum

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En séjour à Istanbul, il y a peu, dans un hôtel moderne de Sirkeci, la collation du matin s’accompagnait invariablement d’une indigeste purée musicale et visuelle à base de chanteurs à arabesques et de percussions. Plus récemment, dans un établissement de restauration rapide et américanisée, l’hypnose musicale et vidéo y était aussi de rigueur. il s’agissait d’un de ces restaurants où, pour pouvoir se vendre, les plats doivent être désignés en anglais. Cette obligation donne parfois des résultats révélateurs : lorsque vous choisissez un menu, les quelques serveurs qui n’ont pas encore été remerciés (on commande surtout sur des bornes automatiques, comme aux péages des autoroutes) vous demandent si vous voulez des frites ou des « potatoses », comprenez des pommes de terre coupées en huit et frites avec la peau. Quant à la musique...

En Turquie, la musique masticatoire est avant tout une musique turque. L’inspiration américaine, audible par les percussions, les arrangements et les voix, visible aussi dans les mises en scène des vidéoclips, est partout mélangée à des éléments authentiquement turcs. Les paroles sont invariablement en turc. Les thèmes ne présentent pas la hardiesse feinte des chansons de Rihanna ou de Beyoncé et tous les éléments musicaux, mélodies, harmonies, instruments, sont mâtinés de tradition turque. Il y a, certes, des percussions synthétiques, mais toujours accompagnées de darbuka ou de bendir. Les arabesques vocales ressemblent, certes, à celles des chanteurs américains, mais suivent des gammes orientales.

En France, l’auditeur passif moyen, quel que soit son âge, ne bénéficie pas de ces politesses. Le folklore californien lui arrive pleine face et sans traduction. Les paroles, a priori incompréhensibles, se révèlent parfois ordurières, mais qu’importe : les instruments, tous synthétiques, les recouvrent sans vergogne. Les harmonies et les gammes, simplifiées à l’extrême, ne risquent pas de troubler la digestion du consommateur. Qu’une chanson soit approximativement en français lui donne aussitôt un petit air désuet et le retour de la langue de Shakespeare, si l’on peut dire, est ressenti comme un soulagement. Encore une pincée de « potatoses » au « quettecheupe » ?

Après tout, avec quoi tout cet attirail venu d’ailleurs pourrait-il bien, en France, se mitiger ? La langue française recule de toute part. Les thèmes abordés rivalisent dans le graveleux. La disparition des festivals empêche que naisse une nouvelle génération d’artistes de talent. Si l’on veut retrouver ce que musique populaire française veut dire, il faut sans délai se rendre à Montluçon où un musée lui est consacré, le MUPOP. Des instruments aux répertoires, la muséographie très cohérente se déploie sur un fonds riche et varié. On peut même y retrouver l’histoire de ce colonialisme culturel anglo-saxon qui a réduit à rien le soin que nous prenions pour nos oreilles. Un vrai remède contre cette maladie lente et mortelle, la « potatose ». 

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