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Réenchanter le récit européen

parNicolas BOUZOU, économiste, président d’Astérès

Articles de la revue France Forum

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Les Britanniques commencent à comprendre à quel point ils ont été abusés pendant la campagne du Brexit par des politiciens sans scrupules et une presse « populaire » parfois complaisante. Une partie de l’opinion publique d’outre-Manche découvre que, non seulement la sortie de l’Union européenne, à court terme, ne rapportera rien à l’État, mais qu’elle a un coût. Et ce coût est d’autant plus élevé que, pour une fois, l’UE est forte, comme si l’énergie et la rigueur de Michel Barnier étaient contagieuses. Ainsi, les Britanniques réalisent, souvent médusés, qu’ils auront au bas mot 65 milliards d’euros à régler.

Ce montant impressionne au Royaume-Uni et génère de la colère. Mais il y a plus. Les Britanniques comprennent qu’ils appartiennent à la civilisation européenne. Cette civilisation est formidablement incarnée par l’incroyable ville de Manchester, frappée par Daesh. Elle rassemble quatre caractéristiques de la civilisation européenne : la liberté économique (qui permet l’innovation), la solidarité publique, l’égalité sexuelle et l’avant-gardisme culturel. Manchester fut le siège de la cotton valley au XIXe siècle et de l’industrie automobile à la Belle Époque. Après la désindustrialisation des années Thatcher, c’est une ville dont l’économie a pu renaître grâce à l’innovation. Elle fut également la ville où Karl Marx et Engels écrivirent le Manifeste du parti communiste. C’est là que le féminisme est né et que les homosexuels, très tôt, se sont sentis protégés. Elle est aussi l’une des capitales mondiales de la pop music.

Ce récit européen, que les Britanniques restent avec nous ou nous quittent, doit être raconté. Les philosophies nietzschéennes, les guerres européennes, Tchernobyl ou le changement climatique ont tué les idoles désincarnées. Plus grand monde n’est prêt à mourir pour Dieu, la nation ou le socialisme. Plus grand monde, sauf les terroristes, justement. Les islamistes en particulier. Voilà pourquoi, de notre côté, nous avons besoin de bâtir un récit collectif et rassembleur alternatif au fondamentalisme (ou au nationalisme). Ce discours doit être crédible et compatible avec le déconstructionnisme du XXe siècle. L’Europe peut en fournir un. Il faut expliquer aux plus jeunes que l’Europe, c’est l’autonomie, la liberté, l’État providence, l’égalité hommes-femmes et la culture.

Il faut expliquer que ces mots ne sont pas des idoles désincarnées, mais constituent le chapeau de réalités concrètes : la liberté de créer une entreprise, l’accès à l’éducation et à la santé, le mariage homosexuel, les musées… De ce point de vue, il n’y a pas beaucoup d’endroits où il fasse autant bon vivre qu’en Europe. Ce récit doit être également l’occasion de rappeler que ceux qui veulent immigrer en Europe sont les bienvenus, car il n’y a pas de murs chez nous. Ils sont les bienvenus s’ils adhèrent sans réserve à ce récit. 

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