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Des Autrichiens face au nazisme

parJérôme BESNARD, essayiste, chargé d’enseignement à l’université Paris Cité

Articles de la revue France Forum

Quels sont les points communs entre Matthias Sindelar, surnommé en son temps le Mozart du football, et stefan Zweig, le romancier à succès bien connu ?

Tous deux sont des citoyens autrichiens issus de familles originaires de Moravie et fixées à Vienne. Tous deux ont été victimes de l’Anschluss, l’annexion forcée de l’Autriche par l’Allemagne provoquée en mai 1938 par Adolf Hitler. Seule différence : si le footballeur est un prolétaire d’ascendance slave, l’écrivain appartenait à une famille juive aisée.

Les éditions Bartillat viennent de publier les oeuvres politiques de Zweig écrites entre l’arrivée au pouvoir de Hitler, en Allemagne, en 1933, et le suicide du romancier et de sa femme, au Brésil, en février 1942. Elles sont présentées par les universitaires Jacques Le Rider et Klemens Renolder. Stefan Zweig quittera Vienne définitivement à la fin de l’année 1937 pour émigrer, d’abord, en Angleterre, puis en Amérique du Sud où il se liera avec Georges Bernanos, devenu l’une des voix les plus écoutées de la France libre. Le texte le plus touchant du recueil est probablement l’hommage posthume à un autre romancier autrichien d’origine juive, Joseph Roth, auteur de La Marche de Radetzki, mort de désespoir alcoolique le 27 mai 1939 à Paris où il s’était réfugié. Les textes de Stefan Zweig recueillis dans ce volume reconstituent les étapes de la perte de sa propre identité autrichienne et européenne à la suite de son exil forcé. Matthias sindelar, né en 1903 dans l’actuelle République tchèque, fut pour sa part l’un des meilleurs joueurs mondial de football des années 1930 avec son club, l’Austria de Vienne, et avec la sélection nationale autrichienne. Olivier Margot, ancien rédacteur en chef à L’Équipe, vient de lui consacrer une biographie romancée qui fait sortir de l’oubli cet avant-centre et buteur de génie, enfant des quartiers sud de Vienne la Rouge, mort tragiquement le 23 janvier 1939 dans le lit de sa compagne d’origine juive italienne. Officiellement, ils furent les malencontreuses victimes d’un accident lié au gaz, mais le doute subsiste encore tant sindelar avait multiplié les provocations à l’égard des nazis dont il rejetait à la fois l’expansionnisme germanique et l’antisémitisme forcené. Depuis lors, chaque 23 janvier au matin, les Viennois passionnés de football se retrouvent en nombre sur sa tombe pour se souvenir du sportif qui défia les envoyés de Hitler.

Vienne est aujourd’hui redevenue la ville européenne prospère, joyeuse et cosmopolite, qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. La grande roue semble tourner sans fin au Prater. On aurait presque l’impression que le souvenir des atrocités de l’occupation allemande, qui dura, ici, de 1938 à 1944, s’est effacé. Mais la tombe de Matthias sindelar comme la crypte des Capucins, le caveau des Habsbourg, rappellent que, dans la capitale impériale, le drame est souvent au coin du bonheur.


Stefan Zweig, L’esprit européen en exil, Bartillat, 2020 – 22 €
Olivier Margot, L’homme qui n’est jamais mort, JC Lattès, 2020 – 20 €

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