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L’amour de la musique au temps du coronavirus

parNicolas VIEL, musicologue

Articles de la revue France Forum

Il a déjà été montré maintes fois que ce qui fait la chair de la culture musicale d’une nation ne réside pas forcément dans les structures quasi monopolistiques de l’industrie culturelle, mais dans la pratique quotidienne d’une foule anonyme et fervente.

De ce point de vue, le peuple d’Italie vient de donner une nouvelle fois au monde le témoignage de son génie, de la sûreté de son goût, de la force de sa culture nationale. Cloîtrés chez eux pour éviter que l’épidémie de Covid-19 n’accroisse encore le nombre des victimes, les Italiens ont eu l’idée de chanter à leurs balcons à heure fixe. La première de ce spectacle inédit a été initiée par un appel sur les réseaux sociaux : vendredi 13 mars, à 18 heures, des millions d’Italiens ont entonné l’hymne national tout d’abord, puis quelques classiques de la variété italienne. Si le choix avait échu aux Français victimes de « clusters » épidémiques, il est permis de douter qu’ils se seraient tournés vers un répertoire de chansons françaises.

Comme les pâtes, l’idée semble venir de Chine et, plus précisément, de Wuhan, l’épicentre de la propagation mondiale du virus, la tentaculaire capitale de la province du Hubei où, il y a déjà un mois, les habitants confinés dans leurs appartements ont tout d’abord crié en choeur « Wŭhànjiāyóu ! », mot à mot « Tiens bon, Wuhan ! », puis chanté l’hymne national.

Ces encouragements, musicaux ou non, ne doivent pas faire oublier que, tel un virus qui envahit un organisme fragilisé, le confinement, principal outil de lutte contre la contamination, risque de mettre à bas le secteur du spectacle vivant et en particulier ses éléments à la fois les plus audacieux, les plus fervents et les plus fragiles. Tandis que les structures institutionnelles, petites ou grosses, qu’elles s’adossent au réseau dépendant du ministère de la Culture ou aux collectivités territoriales, seront probablement soutenues et ne risquent pas le dépôt de bilan, les structures privées prennent, elles, de plein fouet l’obligation récente de fermeture, pourtant logique, indispensable et de salut public.

Les petites structures, celles qui prennent habituellement le plus de risque en irriguant en découvertes et en nouveautés le réseau institutionnel, n’auront pas la trésorerie nécessaire pour faire face à leurs charges incompressibles. En bout de chaîne, un nombre considérable d’artistes, de techniciens, le plus souvent intermittents du spectacle, risquent de voir dans le coronavirus, sinon la fin de leur vie, du moins la fin de leur carrière.

Il est donc indispensable que l’État, et en particulier le ministère de la Culture, prenne la mesure du séisme qui affecte la part la plus vivante, la plus foisonnante, la plus créative du spectacle français, la plus entreprenante aussi, celle qui, depuis toujours, prend tous les risques et que des crédits et des facilités lui soient accordés, en particulier sur le plan financier. À moins, bien sûr, de souhaiter voir continuer à se dissoudre notre patrimoine musical dans le brouet américain.

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