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Interrogations sur le socialisme

parAndré LEBRETON

Articles de la revue France Forum

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À ceux qui pensent que le socialisme est le seul remède aux défauts du capitalisme comme à ceux qui croient à l’avenir d’un néocapitalisme humanisé, un livre récent, brillant et discutable d’André Gorz, vient d’offrir, à défaut de propositions originales et convaincantes, du moins une occasion de réflexion, ce qui n’est pas négligeable.

« Il ne suffit plus de raisonner en fonction de la nécessité du socialisme comme d’une chose allant de soi ; cette nécessité ne sera reconnue que si le mouvement socialiste précise ce que le socialisme peut apporter, à quels problèmes il est seul capable de répondre, et comment ? Plus que jamais il est nécessaire de définir tout à la fois une alternative globale positive et ces “objectifs intermédiaires” qui en préfigurent dès à présent le sens. »

Telle est, d’après l’introduction de Stratégies ouvrière et néocapitalisme1, l’ambition d’André Gorz. […]

André Gorz se propose tout d’abord de procéder à une démystification de notre société néocapitaliste. La diffusion des biens de consommation, la montée des revenus nominaux, l’atténuation de l’isolement de la classe ouvrière, le plein emploi et le non renouvellement de graves dépressions cycliques peuvent justifier en apparence les commentaires de ceux qui saluent l’avènement d’une société industrielle ouverte, débarrassée de problèmes idéologiques et n’offrant à résoudre que des questions techniques.

Mais cette image idyllique d’une société apaisée, technicienne et empirique, diffusant la prospérité à travers toutes les classes au profit du consommateur-roi est certainement fausse et l’auteur montre bien que la recherche du profit maximum conduit le système capitaliste à satisfaire par priorité non les besoins les plus fondamentaux, mais ceux dont la demande est la plus élastique, donc générateurs d’un plus grand profit pour une même quantité de capital fixe. Or, quel est le bien dont la demande est la plus élastique, sinon la demande de bonheur ? La machine économique se consacre donc, par priorité, à fabriquer le bonheur. […]

Ainsi jour et nuit, de Berlin à Casablanca, de Perros- Guirec aux Cyclades, de Tokyo à Rome en passant par New York, les usines à bonheur sont en marche, proposant des marchandises standardisées, uniformisant la consommation.

Si l’analyse de l’orientation de la production capitaliste qui nous est dispensée est pertinente, on ne saurait dire qu’elle est nouvelle, ni spécifique à la pensée socialiste. On sait que les critiques les plus lucides contre la société de la pseudo-abondance ont été formulées par l’économiste américain Galbraith. Récemment, Joseph Folliet, au congrès des Informations catholiques internationales, dénonçait dans le capitalisme une machine à fabriquer des pauvres, tant dans les économies développées que dans les pays en voie de développement. Et par contraste les marques de la société capitaliste apparaissent dans le texte suivant : « La grande société permettra à chaque enfant d’acquérir le savoir qui enrichira son esprit ; elle sera celle où le loisir sera une occasion de réfléchir et de se construire et non de sombrer dans l’ennui ou de se perdre dans l’agitation, où la cité de l’homme comblera non seulement les besoins du corps et les exigences du négoce, mais la soif de beauté et le désir d’une vie plus communautaire, où les hommes se préoccuperont davantage de la qualité de leurs objectifs sociaux que de la quantité de leurs biens matériels. » De qui sont ces paroles qui font écho aux développements de M. Gorz ? du président des USA, Lyndon B. Johnson. Hypocrisie, bonnes intentions gratuites ? peut-être. Mais sûrement lucide prise de conscience des dangers que présente pour l’homme l’orientation spontanée de la production capitaliste. Mais si cette analyse a déjà droit de cité chez les plus lucides des économistes américains et européens, les partis politiques ouvriers ne l’admettent qu’avec beaucoup de réticences et préfèrent s’en tenir aux schémas de la paupérisation absolue de la classe ouvrière. Et c’est manifestement aux dirigeants du PCF que s’adressent les propos de l’auteur.

Ce n’est donc pas l’absence d’originalité de l’analyse des nouvelles aliénations secrétées par le capitalisme moderne, mais le fait qu’elle recueille l’adhésion de beaucoup de nonmarxistes qui nous paraît important. Cette conclusion conduit logiquement à se demander si le socialisme constitue bien une réponse adéquate aux défectuosités du capitalisme. 


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1. Éditions du Seuil, 1964.

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