Bistro, fût, vins, œnologie, gastronomie, terroirs, culture, cuisine, France

Bistrot d'avant, bistrot de maintenant

parSylvère-Henry CISSE, journaliste, président de Sport & Démocratie

Articles de la revue France Forum

-

Thierry Poincin a écrit l’une des plus belles pages du bistrot parisien. Tout est parti d’une idée saugrenue, au début des années 2000 : transformer en restaurant l’ancienne réserve du poissonnier du marché des Enfants Rouges. Comme dans un tableau de Auguste Renoir, il avait su créer, à L’Estaminet, une atmosphère : mobilier chiné, lumière douce, où l’on se sentait bien entre les habitués du marché et les « pipoles » du cinéma et de la télé. Thierry, homme passionné et discret, ne cherchait pas à lever le coude avec le nouvel arrivant et savait glisser quelques secrets de vigneron pour aider à mieux choisir son breuvage. Mais les métiers de la restauration sont si chronophages, demandent une telle exigence, et lui avait une telle soif de découvrir le monde, de rompre avec des journées de 15 heures, 7 jours sur 7, qu’il décide de tout quitter. Il vend cette adresse rentable et voyage à travers le monde, sac sur le dos.

Lors d’une halte à Hong Kong, en 2008, il constate que les Chinois sont de grands buveurs de châteaux bordelais et ne connaissent pas les vins naturels. Pour l’homme de défi, cela ne fait ni une ni deux : il ouvre, dans la mégapole chinoise, une cave où les vins proposés sont sans apport en soufre. Il a vu le potentiel asiatique, mais il n’est pas homme à s’expatrier. Il place dans la boutique Tugdual, un sommelier français parlant le mandarin, et rentre à Paris pour ouvrir, en 2011, En Vrac.

Avez-vous déjà ressenti ce frisson de plaisir qui vous parcourt à l’approche d’un joli moment de gastronomie ? Vous connaîtrez cette vibration dans cette enclave dont Paris a le secret. Dans une rue qui n’invite pas au lèche-vitrine, mais plutôt à accélérer le pas et à remonter le col, Thierry Poincin a réussi un nouveau miracle en choisissant d’implanter un bistrot d’un genre qu’on croyait disparu.

Une fois les pieds posés en terre de jouissance, vous effectuez un voyage dans le temps ; au temps où les cavistes recevaient les clients dans l’arrière-boutique pour remplir à la tirette des bouteilles consignées. Thierry Poincin revisite ce concept disparu à la fin des années 1960. Derrière le comptoir d’En Vrac, de magnifiques cuves en inox se pavanent installées sur des troncs de chêne. Les habitués viennent y remplir leurs bouteilles consignées de jolies références de vins nature et sincères. Ces mêmes bouteilles à limonade servent pour les cours d’œnologie, où les participants assemblent eux-mêmes les cépages et repartent avec une étiquette à leur nom. Dans le même esprit trônent les alcools forts au détail et la bière artisanale brassée à la goutte d’or.

Derrière le comptoir, épaulé par l’incontournable Léopoldine, le maître des lieux est un véritable aubergiste, toujours aussi précis dans ses conseils. Il n’aime rien tant que défendre les terroirs. Il offre une adresse en forme de réconciliation avec le bon, le doux et une forme de chic. À En Vrac, on est confronté à une courte carte qui tient sur une moitié de feuille A4, mais qui affiche des nectars simples, modestes et généreux. De délicieuses assiettes préparées sous vos yeux proposent fromage et charcuterie, avec une merveille de jambon blanc en provenance de la dernière fabrique artisanale de Paris. Un régal en accord avec le bonheur de l’endroit.

L’authenticité est la clé de voûte de cette belle maison, élue meilleur bar à vins de Paris en 2014 par le magazine Time Out. Ici, on parle fort et on rit sans gêne. On ressent le besoin de fermer les vannes de nos soucis quotidiens. On ressent cette nécessité animale de se rapprocher de son voisin, de trouver de la chaleur humaine et d’abolir le repli sur soi. Même s’il ne reste que 35 000 débits de boissons en France aujourd’hui, contre 600 000 en 1960, le bistrot n’est pas mort et, avec En Vrac, Paris revit. Les étrangers ne s’y trompent pas. Japonais, Chinois, Anglais ou Américains font régulièrement des haltes dans une demeure où le snobisme n’a pas sa place. 

Agriculture
Culture
Dialogue international
France
Asie
Société