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L’ardente obligation du Plan

parJean-Noël BARROT, député des Yvelines, secrétaire général du Mouvement démocrate (MoDem)

Articles de la revue France Forum

Prévoir et anticiper ce que le marché ne peut ou ne veut pas voir.

Comme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France se trouve face à des défis considérables et à des questions fondamentales sur le rôle de l’Etat et des administrations publiques, ainsi que sur les priorités économiques et sociales de la nation. Elle doit aussi pourvoir à sa capacité d’anticipation des risques émergents pour pouvoir s’y préparer ainsi qu’à sa compréhension des
grandes évolutions structurelles pour en garder la maîtrise. C’est la raison pour laquelle le Plan, outil de projection, de concertation et de coordination, s’impose aujourd’hui pour éclairer la décision publique.

À l’hiver 1945, faisant le constat que l’urgence de la reconstruction risque de compromettre la modernisation du pays qui avait accumulé du retard dès avant-guerre, Jean Monnet alerte le général de Gaulle : « Modernisation et reconstruction doivent être poursuivies simultanément1. » Les ressources en charbon et en ciment étant rares, il convient d’ordonner les priorités d’action et de prendre des arbitrages difficiles sur leur allocation. Mais pour que ces décisions soient comprises des Français, il faut qu’ils y soient associés. C’est l’intuition fondamentale de la méthode du Plan proposée par Jean Monnet : « Puisque l’exécution du Plan exige la collaboration de tous, il est indispensable que tous les éléments vitaux de la nation participent à son élaboration. »

Par le décret du 3 janvier 1946, le général de Gaulle installe le commissariat général du Plan qui est placé auprès du président du Conseil et dispose de pouvoirs étendus sur les administrations. Avec son équipe resserrée installée au 18 rue de Martignac et composée de 20 % de fonctionnaires et 80 % de contractuels, Jean Monnet installe dix-huit commissions de modernisation au sein desquelles plus d’un millier de contributeurs issus de l’industrie, des syndicats, du monde universitaire et de la fonction publique vont travailler ensemble pendant six mois. Leur objectif est double : formuler un diagnostic de l’état du pays et ordonner les priorités d’action, secteur par secteur.

Fruit de cette démarche collaborative inédite, le premier Plan de modernisation et d’équipement est adopté, le 14 janvier 1957, par le Conseil des ministres. Il doit permettre à la France, selon Monnet, de « devenir un pays moderne à niveau de vie élevé participant largement à la vie du monde, tout en assurant son indépendance par le développement de ses productions essentielles2 ». Il servira de boussole aux politiques publiques menées pendant les années d’après-guerre et ses objectifs seront globalement atteints. C’est l’association très large de la société française à ce travail qui en a permis la pleine appropriation par les français. Les dix Plans suivants s’appuieront sur la même intuition : les incertitudes qui entourent le long terme nécessitent une réflexion partagée et une coordination des acteurs que, seule, la puissance publique peut engager.

À partir des années 1980, le rôle du Plan dans l’économie nationale s’affaiblit progressivement par l’effet combiné de l’intégration européenne, de la décentralisation, de la libéralisation des économies et du développement des échanges internationaux3. La planification ne disparaît pas pour autant, mais se déploie à tous les niveaux de décision, s’adaptant à la nouvelle organisation des pouvoirs. Ainsi, par exemple, les contrats de plan Etat-région (CPER), créés en 1982, accompagnent la vague de décentralisation. Ce faisant, la planification se spécialise, au risque toutefois de perdre le caractère synoptique qui faisait toute son efficacité dans le traitement des sujets transversaux.


ÉCLAIRER LE DÉBAT PUBLIC. Le commissariat général du Plan est supprimé et remplacé, en 2006, par le Centre d’analyse stratégique, puis, en 2013, par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, mieux connu sous le nom de France Stratégie, qui s’attache à éclairer le débat public par des études prospectives, par la coordination des travaux d’évaluation des politiques publiques et par la construction d’outils méthodologiques pour la programmation de l’action publique. Il noue progressivement despartenariats avec d’autres institutions, notamment le Parlement qu i le sollicite régulièrement. en revanche, France Stratégie ne dispose pas des moyens administratifs interministériels qui étaient ceux du commissariat général du Plan et ses travaux n’ont pas comme horizon direct la décision politique.

L’irruption de la Covid-19 et les crises multiples qu’elle entraîne font surgir des questions tout aussi fondamentales que celles qui se posaient à la France au sortir de la Seconde Guerre mondiale. en révélant que le système de santé français dépend à 90 % de l’étranger pour les médicaments et à 80 % pour les consommables médico-chirurgicaux, les ruptures d’approvisionnement interrogent sur le bon niveau de relocalisation de ces activités et sur le surcoût associé pour les patients et les contribuables français. La propagation rapide du virus dans les zones denses et le développement accéléré du télétravail remettent en question les dynamiques apparemment inexorables d’agglomération et ouvrent des perspectives nouvelles en matière d’aménagement du territoire.La tragédie vécue dans les Ehpad questionne la solidarité intergénérationnelle, la place de la famille et l’approche de la démographie.

Dans son adresse aux Français du 13 avril 2020, le président de la République annonçait qu’il « faudra bâtir une stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience qui seuls peuvent permettre de faire face aux crises à venir ». Pour « remettre la réflexion stratégique au centre de la politique nationale », comme l’écrit François Bayrou4, il convenait donc de recréer une institution qui ne soit pas « une cellule administrative de plus, un machin, une usine à gaz », mais qui oblige à « réintroduire les grands enjeux du futur dans le maelstrom de l’agitation médiatique ». Une telle instance se doit d’être « compacte et complète », « indépendante du gouvernement et du Parlement, rapportant aux deux », et rattachée au président de la République « pour qu’il la protège et relaie ses assignations ». C’est ainsi que pourront être retrouvés l’esprit et la lettre de la méthode Monnet. Avec l’institution d’un Haut-Commissaire au Plan le 3 septembre 2020 et la nomination à cette fonction de François Bayrou en Conseil des ministres, c’est désormais chose faite.
 

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1. Propositions au sujet du Plan de modernisation et d’équipement adressées au général de Gaulle le 4 décembre 1945.
2. Lettre adressée par le commissaire général aux membres du Conseil du Plan le 23 novembre 1946.
3. « La planification : idée d’hier ou piste pour demain ? », France Stratégie, 17 juin 2020.
4. Résolution française, éditions de l’Observatoire, 2017.

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