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La Turquie est-elle encore une démocratie ?

parJana JABBOUR, politologue, professeure à Sciences-Po Paris

Articles de la revue France Forum

Heureusement, l’histoire n’est pas encore totalement écrite.

A partir de l’année 2010, trois tournants ont mis le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir en Turquie1 sur la voie de la dérive autoritaire. D’abord, le déclenchement des révolutions arabes, en particulier la crise syrienne, a créé une obsession sécuritaire en Turquie qui s’est traduite par une concentration des pouvoirs : piégé et encerclé dans la région, l’AKP a resserré son étau sur la vie politique turque, en même temps que l’opinion publique demandait un président et un parti forts, capables de garantir la paix et la sécurité face aux menaces émanant de la dégradation de la situation régionale (Daech, activisme du Parti de l’union démocratique (PYD) au nord-est de la Syrie) et ce, même au prix de la démocratie. L’autoritarisme en Turquie est, en ce sens, un dommage collatéral de la crise syrienne.

Ensuite, l’effacement de l’horizon européen à la fin des années 2000 a dévié l’AKP de la voie de la démocratisation sur laquelle il s’était engagé. si, au début des années 2000, la candidature de la Turquie à l’UE était une garantie de sa démocratisation, l’enlisement des négociations avec Bruxelles à la fin de cette décennie a privé l’AKP de toute motivation pour continuer les réformes.

Le coup d’État raté de juillet 2016 a agi comme catalyseur de la dérive autoritaire. D’une part, la tentative de putsch a abouti à l’instauration d’un état d’urgence qui autorise de sortir du cadre démocratique ; des « décrets-lois d’urgence » ont permis des purges massives d’opposants et ce, en violation de l’État de droit. D’autre part, c’est à la faveur du putsch raté que Erdogan a pu imposer un régime présidentiel taillé à sa mesure. Celui-ci donne au président des pouvoirs élargis : le Parlement est marginalisé, le président est à la fois chef de l’État, de l’exécutif, des armées et du parti au pouvoir ; il peut gouverner par décret et dispose du droit de dissolution de l’Assemblée. On voit mal comment un président qui règne sans contre-pouvoirs peut protéger la démocratie.

En somme, le coup d’État de juillet 2016 et les purges qui ont suivi ont marqué le passage de la démocratie conservatrice au...

 


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1. Voir de l'auteure La Turquie : l’invention d’une diplomatie émergente, CNRS éditions, 2017.

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