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La capacité de résilience

parHervé JUVIN, Président de l’Observatoire Eurogroup consulting

Articles de la revue France Forum

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L'objectif est de faire en sorte que nos sociétés, nos entreprises et nos systèmes continuent de fonctionner. Prévoir est un idéal, mais il est tout aussi important de pouvoir survivre à l’imprévisible dans de bonnes conditions.

L’expérience du 11 septembre montre, d’abord, qu’une organisation est beaucoup plus résiliente quand chaque membre de l’organisation sait quel est son rôle.

Toute organisation qui se veut résiliente doit aussi savoir « désigner les dragons » – ceux qui veulent la tuer, la sortir du marché, voler ses projets, etc.

Une organisation doit aussi laisser de l’espace pour le pas de côté. Les organisations animales les plus sophistiquées comportent toujours des marginaux qui permettent à l’espèce de survivre. Les Antandroys qui vivent dans le grand sud malgache seront peut-être les seuls à survivre à une catastrophe nucléaire mondiale. Ils savent vivre dans des conditions qu’aucun autre être humain ne peut supporter : pratiquement sans eau, avec des vents soufflant à plus de 180 km/h de nombreux jours dans l’année. Ils permettront peut-être à l’espèce humaine de survivre.

Il est donc important pour une organisation de compter des personnes capables de faire un pas de côté. Or, les entreprises, et sans doute les administrations, ont tendance à éliminer ces profils atypiques. Bank of new York, par exemple, a pu poursuivre ses opérations là où toutes les autres banques avaient été paralysées par le 11 septembre : un groupe de personnes avaient réussi à reconnecter des ordinateurs hors de toute norme de conformité.

Le plus grand piège au coeur de la vie politique française et européenne est le nominalisme. Le nominalisme consiste à croire l’illusion plutôt que la réalité, que les mots remplacent les choses, que les appellations changent les situations et que parler de « personne de couleur » résout la question du racisme.

J’ai été confronté récemment à l’effondrement d’un centre de recherche semi-public. Cette organisation souffrait d’une incapacité chronique à se dire les choses. Depuis des années, il existait un gouffre béant entre la mission d’origine qui lui était confiée, les déclarations politiques sur son importance vitale pour la France et l’Europe et les moyens mis à la disposition de ses chercheurs. Cette évidence restait, toutefois, dans le non-dit. Les subordonnés s’en seraient voulu de faire remonter l’information à leur hiérarchie et la direction se refusait à interpeller ses responsables politiques. Il en est résulté une liquidation sans gloire.

La capacité à dire ce qui ne va pas est donc une des conditions essentielles de résilience des systèmes. À cet égard, on peut être sceptique quant à la capacité de résilience de notre système politique actuel.

Pour conclure, l’un des problèmes auxquels nous sommes tous confrontés est cette affirmation qui court dans les universités et chez les beaux esprits américains selon laquelle chacun est mû par la volonté de changer le monde. j’ai retrouvé cette devise jusque sur le fronton d’une école en Zambie, à Lusaka : « Vous travaillez pour changer le monde. » Or, comme l’écrit Hannah Arendt, « jusqu’à présent, la croyance totalitaire que tout est possible semble n’avoir prouvé qu’une seule chose, à savoir que tout peut être détruit ».

Comme le montrent les expériences sans contrôle des Chinois sur le vivant, nous assistons à un courant extrêmement fort, mobilisant des milliards de dollars, reposant sur l’idée que de la science, du progrès et de l’investissement naîtra un homme nouveau, qui sera un homme meilleur. Toute l’Histoire montre que la volonté de fabriquer un homme nouveau et meilleur est très proche de l’extermination des hommes ordinaires que nous sommes. 

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