L'avenir de l'État providence en Europe : l'exemple trop peu connu de la santé aux Pays-Bas

parEline VAN DEN BROEK, Fondatrice de Quid Novi, Cercle de Belém
16 Décembre 2016
Actualité

Huitième intervention du colloque "L'avenir de l'État providence en Europe". L'ensemble des interventions sera publié sur notre site, rubrique "Actualités". Ce colloque était organisé par le Cercle de Belém et l'institut Jean Lecanuet, le 2 décembre 2015, au palais du Luxembourg.

Dans ma vie professionnelle, je suis passée des sciences politiques aux sciences économiques, c’est-à-dire des mots et des opinions aux faits et aux chiffres. Je commencerai donc par quelques indicateurs pour comparer la France et les Pays-Bas. La France connaît des impôts plus élevés que les Pays-Bas, mais elle dépense moins pour sa santé. Malgré cela, elle présente de meilleurs résultats tant en espérance de vie qu’en mortalité infantile.

Comme celui de beaucoup de pays européens, le régime de sécurité sociale des Pays-Bas s’est trouvé confronté à des difficultés majeures, essentiellement en matière de soutenabilité financière à long terme, mais aussi d’équité entre assurés. Il est intéressant de se pencher sur les réformes mises en œuvre pour répondre à ces enjeux.

Avant la réforme, le système aux Pays-Bas était composé de trois « compartiments », pour reprendre le terme consacré. Le premier portait sur les soins de longue durée, les soins aux personnes handicapées et aux personnes âgées. Il relevait de l’assurance AWBZ, intégralement financée par l’impôt. Les réformes ne l’ont pas remis en cause, même si cette branche se heurte à des problèmes majeurs de viabilité financière. Le second compartiment portait sur les soins médicaux curatifs et le troisième sur les soins dits additionnels, voire de luxe, considérés comme non indispensables.

Avant la réforme, les personnes gagnant moins de 33 000 euros pour les salariés ou 21 050 euros pour les indépendants étaient automatiquement éligibles aux caisses d’assurance maladie, c’est-à-dire au régime de soins public. Les personnes qui gagnaient au-delà de ces plafonds étaient automatiquement orientées vers le régime privé. La principale différence entre ces deux régimes tenait au fait que les bénéficiaires du régime public étaient automatiquement assurés, alors que l’assurance était facultative pour les autres. Une couverture complémentaire était également possible pour les bénéficiaires des deux régimes. En pratique, elle était le plus fréquemment souscrite par les personnes relevant du régime privé.

Comme beaucoup de pays européens, les Pays-Bas étaient confrontés, il y a dix ans, à un besoin impérieux de maîtrise de leurs dépenses de santé. Près des deux tiers de la population néerlandaise étaient affiliés au régime privé. Un nombre croissant de personnes avaient des revenus légèrement en deçà du plafond, choisissant volontairement de gagner moins pour relever du régime public. 

En outre, le système ne répondait pas correctement aux besoins des patients. Les listes d’attente étaient très longues. Le régime public n’autorisait pas le choix des praticiens, tandis que le régime privé était confronté à un problème de sélection des risques : les cotisations reposaient sur le profil de risque de l’assuré, conduisant à des différences significatives entre assurés. L’information sur la qualité des soins dispensés était parcellaire, voire manquante. Parallèlement, les Pays-Bas affrontaient une période de croissance faible et de chômage élevé. Là encore, il leur fallait répondre à tous ces enjeux.

De très longs débats ont abouti à deux propositions simultanées de réforme ; la première portant plus particulièrement sur l’offre de soins et la seconde sur l’assurance maladie elle-même. 

Le point saillant de la réforme est que toute personne vivant ou travaillant légalement aux Pays-Bas doit cotiser désormais à une assurance privée. Ainsi, 99 % de la population est couverte. Les seules exceptions concernent les enfants de moins de 18 ans et les nouveaux résidents, qui bénéficient d’un délai de quatre mois. 92 % des Néerlandais souscrivent à une assurance complémentaire, facultative. Soit ils considèrent que la couverture offerte par le régime général est insuffisante, soit la nouvelle réforme les a convaincus de l’intérêt de s’assurer encore plus en matière de santé.

Le périmètre retenu pour la « disposition générale en matière d’assurance » est celui des « soins de santé essentiels dont l’efficacité est démontrée ». Le remboursement de ces soins repose pour une large part sur des évaluations médico-économiques. Aux États-Unis où les health insurance exchanges (sites de courtage de polices d’assurance) mis en place par Barack Obama ont ouvert l’année dernière, la question de l’évaluation médico-économique s’est posée très rapidement. Dans quelle mesure faut-il financer toutes les demandes de soins pour tous les citoyens ? 

Le conseil de l’assurance maladie nationale détermine le niveau basique de couverture, mais ne prend pas parti sur la manière de l’implémenter. Le paquet couvre les événements graves de santé, les soins en consultation interne ou externe, les médicaments (de préférence génériques) et tout autre soin qui ne relève pas des soins dits de luxe. Les assurés sont libres de choisir leurs praticiens, mais seulement parmi ceux ayant signé un contrat avec l’assurance maladie.

Tous les assurés acquittent une prime nominale dont le montant varie d’une année à l’autre, de l’ordre de 1 200 à 1 400 euros, montant raisonnable eu égard aux prestations servies et en comparaison des cotisations pratiquées dans d’autre pays comme les États-Unis. Le gouvernement joue un rôle majeur dans la fixation de ce montant. Un important débat a porté il y a deux ans sur le fait que les compagnies d’assurances accumulaient des réserves, ce qui a conduit le gouvernement à intervenir pour faire baisser les cotisations. Le système néerlandais repose donc sur le libre marché, mais aussi sur une régulation gouvernementale assez poussée. Il faut ajouter que, sur le montant de la prime nominale, 200 euros sont déductibles et que 7,2 % du salaire est prélevé pour le fonds de péréquation des risques de l’assurance maladie.

Le nouveau système marque donc un passage de soins fondés sur l’offre à des soins fondés sur la demande, le gouvernement autorisant aussi les fournisseurs et les compagnies d’assurances à négocier le prix des traitements. Pour prendre un exemple, une compagnie d’assurances limite à neuf le nombre de séances de physiothérapie par patient et fixe un certain plafond de prix. Il ne nous appartient pas de dire si cette approche est favorable ou non, mais elle est certainement efficace en termes de maîtrise des coûts. Il faut, toutefois, noter que ce pouvoir donné aux compagnies d’assurances concerne seulement 10 % de l’offre de soins. Les hôpitaux néerlandais restent soumis à des budgets stricts.

Le système de péréquation est également un élément fort de notre modèle. La loi sur la réforme de l’assurance maladie a soumis les compagnies d’assurances à des règles en matière de garantie et d’évaluation. Elles sont contraintes d’accepter tout assuré qui souhaite souscrire et doivent proposer une cotisation universelle, indépendamment du profil de risque de la personne. Cette mesure a eu des conséquences draconiennes en matière d’accessibilité aux soins aux Pays-Bas.

Le régime n’est évidemment pas exempt de faiblesses. La première concerne la liberté de choix du consommateur. La standardisation de l’offre de soins a de fait éliminé tout choix réel. Trois ou quatre ans après la mise en place de la réforme, même s’il existe plusieurs couvertures proposées par les compagnies d’assurances, les trois premières compagnies revendiquent 90 % de parts de marché. Le choix des professionnels de santé est également de plus en plus restreint, car la plupart des compagnies travaillent avec les mêmes praticiens. Tout marché libre a besoin d’une information pleine et entière. Or, nous manquons aussi d’information sur la qualité des soins délivrés, même si ce point s’améliore à la fois pour les hôpitaux et pour la médecine de ville.

La seconde faiblesse est que la « concurrence régulée », nom officiel de notre nouveau système de soins, a débouché sur un oligopole de trois compagnies d’assurances. Dans ces conditions, peut-on parler de marché ? Ce point fait l’objet de vifs débats.
Pour conclure, le système néerlandais pose quelques problèmes évidents. Le premier est la viabilité financière du régime. Le régime de base est très large et va bien au-delà des « catastrophes » pour couvrir, de fait, la plupart des besoins des patients. Malgré toutes les théories sur le « pouvoir d’achat » des compagnies d’assurances, le coût des soins hospitaliers a crû de 24 % à 26,2 %, les soins dentaires de 4,8 % à 5,1 %, les soins psychiatriques de 5,5 % à 6,1 %, le tout de 2008 à 2012. Parallèlement, les profits des médecins libéraux et des professionnels de santé ont progressé de 8 %. Il s’agit d’un point politique délicat.

Un débat politique sur l’accessibilité financière doit être également ouvert : dans quelle mesure les plus aisés peuvent-ils être autorisés à disposer d’une couverture plus large que celle des moins nantis ? Si le but ultime est bien une couverture universelle, il faut accepter que les personnes qui peuvent payer une assurance complémentaire en aient la liberté, alors que les autres bénéficient d’une couverture plus basique. Ce débat reste, cependant, très sensible politiquement.

L’assurance maladie néerlandaise est très accessible d’un point de vue financier. La prime de base est très modeste, la couverture est large et le reste à charge demeure très faible, particulièrement en comparaison de pays comme les Etats-Unis. Le régime néerlandais se classe régulièrement au premier rang de l’indice européen des consommateurs de soins de santé , créé il y a plus d’une dizaine d’années. Les Néerlandais peuvent choisir entre différentes options au sein d’un même contrat et donc influencer indirectement le niveau de couverture. Ils sont très satisfaits de leur système.

Pour conclure, les bonnes pratiques et les régimes ne peuvent être répliqués d’un pays à l’autre compte tenu des différences culturelles entre pays. Toutefois, les bonnes pratiques sont très utiles pour élaborer de nouvelles réformes. Nous pouvons de même copier certains éléments de régimes existants pour vérifier ce qui fonctionne ou non. Certains aspects du régime néerlandais de « concurrence régulée » ne sont peut-être pas idéaux, mais d’autres méritent d’être repris. La péréquation des risques en fait partie : beaucoup de pays pourraient s’en inspirer.

 

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