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Un nouveau monde : le rôle de l’alliance des civilisations

parMiguel Angel MORATINOS CUYAUBE, haut représentant de l’Alliance des civilisations des Nations unies

Articles de la revue France Forum

Vivre et laisser vivre.

Certains scientifiques appellent notre époque l’« anthropocène », où l’homme est au centre de l’évolution du monde. D’autres, en revanche, prédisent la fin de l’homo sapiens. Ces deux affirmations ne sont nullement contradictoires.

D’une part, les êtres humains ont accumulé une telle capacité intellectuelle pour faire progresser la science et la technologie qu’ils sont capables de prévoir, de modifier et de contrôler mère Nature, créant ainsi un monde à leur image, qui leur ressemble.

D’autre part, face à cette situation incontestable de progrès scientifique, la réalité nous a récemment confrontés à la rébellion de la nature et au cri d’alarme des ressources naturelles. De plus, l’avancée du « nouveau capitalisme de surveillance » conduit « sapiens » vers un processus de robotisation aliénante où il perdrait l’essentiel de son propre être : sa capacité à décider et à être le seul et libre responsable de ses actes et comportements. Les progrès dans la connaissance du comportement des neurones, ceux-ci pouvant même dépendre de stimuli technologiques externes, pourraient bientôt le transformer en un « homo mi-sapiens, mi-robot ».


DES SOCIÉTÉS BOULEVERSÉES. La Covid-19 n’a fait que confirmer la complexité et l’incertitude du nouveau monde. Aujourd’hui, nous sommes la société « Covid », nous vivons totalement immergés dans cet univers étranger, faisant face à la dure réalité que la nostalgique normalité ne sera plus qu’un lointain souvenir.

Malgré son origine et son impact sanitaire initial, cette pandémie a complètement bouleversé le modèle politique, économique, social, culturel et éthique des sociétés. Elle reste une crise fondamentalement humaine, dans laquelle le citoyen du monde qui se trouve à son épicentre réagit et pour laquelle il attend des solutions différentes de celles proposées jusqu’à présent par les systèmes nationaux, régionaux et internationaux.

Il ne fait aucun doute que les défis de cette nouvelle ère touchent une « seule humanité ». Les citoyens du monde commencent à se dessiner comme de futurs sujets internationaux. Il est donc essentiel de façonner une nouvelle gouvernance mondiale qui puisse répondre aux aspirations et aux droits des quelque 8 milliards d’habitants de la planète Terre.

Cela ne signifie pas que l’esprit et l’héritage des Nations unies, nés des cendres de la Seconde Guerre mondiale, ne peuvent pas répondre de manière adéquate à ces nouveaux défis, mais cela signifie qu’un nouveau modèle multilatéral est nécessaire pour résoudre les nouvelles questions qu’appellent les profonds changements des dernières décennies.

Bien qu’au début de la pandémie, de nombreuses personnalités aient déclaré leur attachement indéfectible au « multilatéralisme » une tendance dangereuse gagne du terrain au sein de la communauté internationale. La rivalité sino-américaine et le retour à une nouvelle bipolarité peuvent  conduire à des scénarios dangereux et imprévisibles pour l’avenir. Ce que l’on appelle le « multilatéralisme à la carte », où les différents acteurs acceptent de jouer selon les règles uniquement pour certaines questions, ne devrait jamais être notre modus operandi.


LA FRATERNITÉ, NOUVELLE FRONTIÈRE. Notre principal objectif aujourd’hui est de sauver ensemble la planète et de prévenir l’homo sapiens du danger de son extinction définitive. Aujourd’hui, nous devons réfléchir à la manière de remettre de l’ordre dans notre avenir commun. C’est le rôle essentiel que peut jouer l’Alliance des civilisations des Nations unies, née avant tout pour lutter contre le choc des civilisations entre un monde arabo-musulman et l’Occident, dans la discussion des règles et des principes qui permettront le développement fraternel et harmonieux de toute l’humanité.

La diversité culturelle, ethnique et religieuse est une réalité incontestable. Le récent recensement démographique aux Etats-Unis ou la composition sociologique de n’importe quelle ville ou Etat européen le démontrent clairement. Que dire du réveil légitime du monde indigène en Amérique latine, du cri africain pour une justice historique ou du respect exigé par un monde asiatique de plus en plus influent ? Il n’est pas question de renoncer à ce que l’humanité a déjà accompli ni de dévaloriser les réalisations de la communauté internationale : la Déclaration universelle des droits de l’homme restera la plate-forme irréfutable de toute gouvernance mondiale. Toutefois, il est nécessaire de respecter et de valoriser les différences et la multiplicité des cultures et des civilisations. Nous vivons dans un monde multipolaire où il est logique que différents pays africains, américains, arabes, asiatiques et européens soient fiers de leur histoire et revendiquent leur place dans la gouvernance internationale. Chacun doit défendre ses principes et ses valeurs, mais sans chercher à les imposer aux autres. Il s’agit de vivre et de laisser vivre, comme le dit le proverbe espagnol. Le respect, la compréhension mutuelle et la fraternité devraient être les principes essentiels pour aborder le nouvel agenda de l’Onu.

Les différentes civilisations que l’humanité a connues ont apporté leurs avancées et leurs réalisations au profit de tous. Aucune civilisation n’est supérieure à une autre. La complexité de l’ère anthropocène est de coexister et d’organiser une nouvelle gouvernance en acceptant la diversité et en établissant un code de conduite qui détermine les règles communes pour éviter de tomber dans des totalitarismes d’exclusion où le citoyen est définitivement expulsé et marginalisé.

Il ne s’agit pas seulement de « ne laisser personne derrière », mais d’établir des règles du jeu qui nous permettent d’envisager un horizon de paix, de justice et de liberté. L’Agenda 2030 de l’Onu montre la voie à suivre sur la base de dix-sept objectifs essentiels, aucun d’entre eux n’étant supérieur aux autres. Pour les atteindre, il ne suffit pas de fixer des priorités et de se battre pour sauver la planète sans d’abord sauver l’humanité de la violence innée des sociétés, qui conduit à des crises, des conflits et des guerres récurrentes. Le pape François a qualifié la fraternité de nouvelle frontière de l’humanité. Dans cette tâche, l’Alliance des civilisations et l’Onu doivent servir de plate-forme pour discuter de nouvelles idées et propositions de coexistence humaine pour le XXIe siècle, pour ce nouveau monde.

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