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Star Wars, aux sources de la force !

parSylvère-Henry CISSE, journaliste, président de Sport & Démocratie

Articles de la revue France Forum

1977. Cette année-là, le cinéma entre dans une nouvelle dimension. Le premier épisode de Star Wars, « Un nouvel espoir », bouleverse à jamais toute une industrie et un genre devenu majeur.

Mais, à bien y regarder, une des sources d’inspiration de ce monument du cinéma est un acteur disparu au sommet de sa gloire au début des années 1970 : Bruce Lee, le maître des arts martiaux.

La fascination de millions de gens pour les films de Bruce Lee ne tient pas à leur qualité cinématographique. Les scénarios sonnent creux, les dialogues sont rudimentaires et d’un minimalisme affligeant. Le jeu d’acteur de Lee apparaît emphatique, surjoué et grotesque. Alors, comment expliquer le succès planétaire de ses cinq films1 ? Il tient principalement à la chorégraphie des corps et à l’esthétisation d’une violence sans hémoglobine. Nombreux sont ceux qui ont été ébahis par cette légende qui a révolutionné le monde des arts martiaux en inventant le jeet kune do (la « voie du poing qui intercepte »), discipline qui combine les meilleures techniques de différents sports de combat et attirera le tout-Hollywood. Steve McQueen, George Lazenby, James Coburn et Roman Polanski deviendront les disciples de Lee.

Lors de la disparition, en 1973, de celui dont on se souviendra comme la première star internationale asiatique, George Lucas entame l’écriture d’un western galactique. Le jeune cinéaste de 31 ans vient de remporter un succès critique et public avec American Graffiti. À cette époque, le microcosme hollywoodien est captivé par l’Asie. Chinatown, de Roman Polanski, recevra onze nominations aux Oscars à sa sortie. La télévision outre-Atlantique succombe à la mode, mais, fidèle à ses vieux démons, en l’occidentalisant. C’est ainsi que la série Kung Fu, diffusée en 1972, préférera David Carradine à Bruce Lee pour l’interprétation du rôle principal. Les producteurs estimaient le public américain non préparé à voir un Asiatique en vedette.

En écho à cet engouement orientaliste, Lucas s’est inspiré des trois sagesses chinoises : le taoïsme, qui se fonde sur la recherche d’une harmonie entre l’homme, la nature et l’univers ; le confucianisme, qui définit la place de l’homme par la morale et par un ordre social ; et le bouddhisme, qui se résume par le respect de la vie sous toutes ses formes et la recherche de l’épanouissement. Ces piliers, philosophies fondamentales de la pensée chinoise, constituent la toile de fond des valeurs des Jedi, chevaliers de l’ordre intergalactique, à la fois moines Shaolin et samouraïs.

Cette inspiration asiatique se retrouve dans les costumes. Les bures d’ecclésiastique devenues fashion sur les épaules de Obi-Wan Kenobi, alias Alec Guinness et Ewan McGregor, les superbes caftans de Padmé Amidala (Natalie Portman) et du sénateur Palpatine (Ian McDiarmind), la robe immaculée de Leia Organa (Carrie Fisher) et le fameux kimono de Luke Skywalker (Mark Hamill) sont autant de références à l’Asie. Et que dire de l’usage de l’ana strophe et de l’hyperbate par maître Yoda, personnage le plus attachant de la saga. Ces figures de rhétorique viennent tout droit de la percussion verbale de maître Po, le mentor de Kwai Chang Caine (David Carradine) dans la série Kung Fu, et s’inspirent des poncifs de la philosophie de la sagesse venue d’Asie. En outre, la référence à l’apogée de la Chine sous la dynastie Ming au Moyen Age qui caractérise l’environnement des rebelles est manifeste, tandis que toutdans l’Empire renvoie au IIIe Reich.

Star Wars est devenu culte par sa narration manichéenne, la magie de son univers et, plus encore, par ses combats. La capacité des Jedi, rapides comme l’éclair, d’affronter dans le même temps plusieurs adversaires au sabre laser, tel Bruce Lee avec un nunchaku, démontre une fois de plus l’inspiration qui a façonné ce space opera.

George Lucas est un homme de son temps, dont la création interagit avec son quotidien. Il s’imprègne de l’air du temps et d’une vision géopolitique passée au prisme de la pensée américaine et hollywoodienne. En 1973, début de l’écriture de son oeuvre, les Etats-Unis se retirent du bourbier indochinois. Le doute s’installe lorsque Nixon reçoit le dirigeant de l’empire du mal, le bloc communiste, Léonid Brejnev. Chaque épisode peut être perçu comme une esquisse des soubresauts du monde.

George Lucas a créé un objet unique, innovant, toujours en avance sur son temps, dont la vision a marqué une industrie et des générations de spectateurs (surtout les trois premiers opus). Son projet s’est imposé, dès le début, comme un objet culte. Star Wars fait rêver. Qui n’a pas tenté, au moins une fois, de déplacer un objet à la force d’une main tendue ? George Lucas s’est servi de ses propres peurs pour composer une oeuvre dont la force est de proposer un miroir. Ce qui permet à certains de considérer Star Wars comme l’héritier de l’Iliade et de l’Odyssée. En 2016, un éditeur a eu l’idée de transcrire le classique de Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, en aurebesh, l’alphabet utilisé dans la galaxie lointaine, très lointaine, il y a bien longtemps. Cette initiative démontre la puissance d’une oeuvre qui, en 2019, trouvera son épilogue avec l’épisode IX. « May the force be with you », « Que la force soit avec toi » !


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1. Big Boss (1971), La fureur de vaincre (1972), La fureur du dragon (1972), Opération Dragon (1973), Le jeu de la mort (1978). 

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