FF 62 - Visuel article VIEL - PANORAMA

Schoenberg, la naissance de la modernité

parNicolas VIEL, musicologue

Articles de la revue France Forum

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L'espace d’un instant, imaginez-vous compositeur. Pas de ces compositeurs à succès qui recyclent les vieilles scies, font du neuf avec du vieux, touchent copieusement de la SACEM et circulent comme chez eux sur les plateaux de télévision. Non, vous êtes un compositeur plutôt discret, autodidacte, mais très exigeant, donc peu introduit dans les réseaux. Vous êtes un compositeur reconnu dans votre cercle d’amis connaisseurs, mais sans plus.

Imaginez que vos réflexions sur la musique, votre envie de nouveauté vous amènent à composer une oeuvre tout à fait révolutionnaire, une oeuvre nouvelle à tous égards, quelque chose d’inouï au point que le public crie au scandale, que les spécialistes vous montrent du doigt, que certains de vos amis même se détournent de vous, que vos ressources se tarissent.

D’ailleurs, les amis, parlons-en ! Imaginez que vous vous rendiez compte au même moment que votre conjoint(e) vous trompe avec un proche et que ce dernier, face à cet amour impossible, éprouve l’envie de se suicider. Ne verriez-vous pas l’avenir sombrement, plein d’amertume et de remords ? N’aimeriez-vous pas partir, changer de vie ?

Il est des tempéraments qui ne renoncent jamais, tant est ancrée, en eux, la certitude de suivre logiquement un parcours artistique inexorable dans une ville surdouée. Ce fut le cas de Arnold Schoenberg, à Vienne, en 1908. Cette année-là, il présente au public son Second quatuor a cordes, celui de la rupture définitive avec le système tonal. Tohu-bohu sans précédent à Vienne. On crie, on siffle. La musique s’interrompt.

C’est aussi en 1908 que Schoenberg commence à peindre, poussé par un de ses amis, le peintre Richard Gerstl, celui-là même qui entretiendra une liaison avec sa femme, Mathilde.

Confiant en son destin artistique, Schoenberg trouve dans la pratique de la peinture un autre axe d’exploration de la modernité telle qu’elle se pratique à Vienne, à cette époque. Elle l’accompagne pendant qu’il explore l’absence de tonalité en musique, qu’il invente le dodécaphonisme ou qu’il redécouvre sa judéité. Elle lui permet aussi de mieux comprendre l’oeuvre de son ami Wassily Kandinsky avec qui il correspond assidûment. 1908, c’est aussi l’année où son ami l’architecte viennois Adolf Loos publie son article « Ornement et crime ». En pleine vague expressionniste, ce sont aussi les prémices du Blau Reiter à Munich, la naissance du cubisme autour de Georges Braque. Encore quelques mois et ce sera le futurisme, puis le surréalisme, puis Dada…

L’exposition « Arnold Schoenberg. Peindre l’âme » consacrée à la peinture du compositeur, au Musée d’art et d’histoire du judaïsme à Paris jusqu’au 29 janvier prochain, permet d’explorer la manière dont le travail pictural du compositeur dialogue avec ses innovations musicales. Réalisée avec la collaboration du centre Schönberg de Vienne, elle rapproche ainsi les tableaux du maître viennois de ses partitions, écrits et publications, mais aussi de nombreux tableaux et gravures de Kandinsky (La Tâche rouge, 1914), de Gerstl et des gravures de Kokoschka. À voir absolument. 

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