Pascal Boniface, directeur de l'IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques)

Parler avec les Russes et la Russie

parPascal BONIFACE, directeur de l’IRIS

Articles de la revue France Forum

Nous organisons pour la troisième fois un colloque1 sur les relations entre la France et la Russie en partenariat avec le centre d’analyse de la Chambre de commerce et d’industrie France-Russie et, pour la présente édition, avec l’institut Jean Lecanuet et le groupe sénatorial d’amitié France-Russie.

Est-il légitime d’organiser un colloque sur un pays avec lequel nos relations sont problématiques ? La question ne se pose pas pour d’autres pays, semble-t-il. Nous avons effectivement plusieurs désaccords avec la Russie, mais nous avons aussi des accords. Il est bon d’explorer les uns et les autres sans céder à la tentation de ne vouloir dialoguer qu’avec des pays avec lesquels nous sommes entièrement d’accord. À défaut, les contacts diplomatiques de la France seraient réduits aux 27 autres membres de l’Union européenne ou aux membres de l’Otan, quoique nous ayons également des différends avec certains d’entre eux.

Si nous passons en revue les grands dossiers stratégiques, une entente existe entre la France et la Russie au sujet du Mali. La Russie a d’ailleurs soutenu l’effort français pour empêcher la création d’une sorte d’« Afrighanistan » à nos portes. La coopération a également porté ses fruits dans le dossier iranien. Le format « 5+12 » s’est révélé efficace : l’adoption d’une base plus large de négociation a permis d’aboutir à un accord historique le 14 juillet 20153. Il garantit que l’Iran ne s’engagera pas dans un programme nucléaire et, surtout, il évite le recours à une solution militaire pour écarter une telle perspective. Cette coopération a donc été fructueuse. En revanche, la France est en opposition avec la Russie sur le sujet de l’Ukraine, bien que, là encore, des différences existent au sein de la famille occidentale sur l’ampleur de ce désaccord : la position de la France ou de l’Allemagne n’est pas tout à fait celle des États-Unis ou de la Pologne. Si nous avons des divergences avec la Russie, il importe d’engager le dialogue pour les aplanir. Aucune solution au dossier ukrainien ne peut être envisagée sans que la Russie en soit partie prenante. Nous avons connu des désaccords beaucoup plus graves avec les États-Unis sur l’Irak en 2003. Les conséquences de cette guerre sont, sans doute, stratégiquement beaucoup plus lourdes que celles des événements de Crimée et, pourtant, nous entretenons toujours un dialogue soutenu avec les États-Unis.

Nous avons également une importante divergence avec la Russie sur la Syrie. Nous sommes nombreux à penser que, si nous ne parvenons pas à rapprocher les points de vue, la terrible situation que connaît ce pays perdurera – 250 000 morts, 11 millions de déplacés, un système éducatif en lambeaux, un système de santé disparu et un pays en ruine. Chacun pourra se targuer d’avoir raison contre les autres, mais cela ne changera rien à la situation. Il importe donc de trouver une solution à ce conflit qui, non seulement met ce pays à bas, mais a des conséquences régionales et globales extrêmement fortes.

Nous avons donc des accords comme des désaccords. Ceux qui critiquent une rencontre comme celle d’aujourd’hui au motif qu’on ne peut dialoguer au-delà d’un certain degré de désaccord proposent, en réalité, une France rétrécie, qui ne pourrait parler qu’avec les pays dont elle est la semblable, c’est-à-dire dans le cadre étroit de ses partenariats au sein de l’Union européenne. Or, le monde change, évolue et devient toujours plus multipolaire. Il est impossible pour un pays qui entend s’affirmer sur la scène internationale de ne parler qu’avec les pays qui lui ressemblent étroitement. 

Le général de Gaulle avait montré la voie en son temps, suivi par François Mitterrand : nous devons parler avec tous ceux qui comptent. La Russie en fait partie en tant que membre permanent du Conseil de sécurité. Elle joue aussi un rôle important dans l’ensemble des problèmes stratégiques. Elle constitue enfin un partenaire économique fort. La stratégie de l’exclusion peut faire plaisir à certains éditorialistes et conférer une certaine aura morale, mais elle ne change rien sur le fond, ne permet pas d’avancer et, surtout, réduirait la voilure de la diplomatie française et de la France dans le monde. Si nous voulons une France qui pèse dans le débat mondial, nous devons parler avec les Russes et avec la Russie. •

 

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1. Colloque qui s’est déroulé le 12 novembre 2015 au palais du Luxembourg, salle Clemenceau. (NDLR)
2.Chine, états-Unis, France, Russie, Royaume-Uni et Allemagne. (NDLR)
3. Accord signé le 14 juillet 2015, à Vienne, entre l’Iran, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Chine, la Russie et l’Allemagne.  (NDLR)

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