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« Le pain et la santé avant le jeu »

parPape DIOUF, ancien président de l'Olympique de Marseille, membre de Sport & Démocratie

Articles de la revue France Forum

Le Maroc n’organisera pas la prochaine Coupe d’Afrique des Nations de football (CAN). À cause de l’épidémie Ebola, le Maroc s’est désisté, faisant valoir un « cas de force majeure sanitaire ». Il avait demandé, en octobre dernier, le report de la compétition : une requête à laquelle la Confédération africaine de football (CAF) n’a pas accédé, refusant une reprogrammation à l’été 2015 ou au début de l’année 2016. C’est la Guinée équatoriale qui, finalement, accueillera cette compétition qui aura lieu du 17 janvier au 8 février 2015. Le choix du pays a été officialisé après une rencontre à Malabo entre le président de la République de Guinée équatoriale, Teodoro Obiang, et le président de la Confédération africaine de football, Issa Hayatou. L’Office mondial de la santé prévoit 5 000 à 10 000 nouveaux cas d’Ebola par semaine au cœur de l’hiver, mais la CAF tenait à organiser coûte que coûte la CAN.

 

 

France Forum.L’Afrique n’a-t-elle pas perdu la face avec le refus du Maroc d’organiser la CAN et son hébergement en Guinée équatoriale ?

Pape Diouf. – C’est peut-être forcer les termes de penser que l’Afrique a perdu la face puisque l’Afrique ne se résume pas au football, ni à l’institution du football, en l’occurrence la CAF. Il est vrai que le refus du Maroc d’organiser la CAN a été une sorte de camouflet, de coup dur certainement. Mais il faut aussi en revenir au pourquoi des choses. Il y a eu un tel ramdam médiatique à propos d’Ebola que l’on peut tout à fait comprendre que le peuple marocain ait pris peur et ce n’est pas l’Afrique, mais bien l’Occident, à ce que je sache, qui a orchestré cette histoire d’Ebola. Oui, à un moment donné, le peuple marocain a pris peur. Dans un sondage, une large majorité a souhaité que la CAN ne se déroule pas dans le pays et les autorités marocaines ont suivi.

FF. – La FIFA est une institution extrêmement riche. N’aurait- elle pas pu intervenir et aider à trouver une solution ?

PD. – Tout d’abord, il n’y a pas eu d’annulation de la CAN, mais bien une délocalisation, il faut dire les faits comme ils sont. La FIFA est une institution mondiale, la CAF est une institution locale. Je ne sais pas exactement dans quelle mesure la FIFA aurait pu intervenir et changer le cours des choses puisque, aujourd’hui encore, et c’est mon sentiment, ce n’est pas définitivement tranché quant au fait que cela serait bien ou mauvais. On ne connaît pas exactement le degré réel d’insécurité sanitaire qu’une telle organisation peut entraîner, puisqu’il y a plutôt eu une épreuve de force entre les Marocains et la CAF, arbitrée par la Guinée équatoriale qui a accepté d’organiser la compétition. Pour ma part, j’en reviens à la position que j’avais adoptée, à savoir qu’il eût fallu que les choses soient claires : interroger des experts, des spécialistes, des institutions, type OMS, mais en dehors de toute idéologie, et leur demander s’il y avait un véritable danger. Selon la réponse que ces institutions et ces experts auraient donnée, on aurait véritablement pu prendre une position, une décision qui à mon sens aurait été la meilleure.

FF. – Que nous disent ces événements de la situation de l’Afrique ?

PD. – Cela montre que l’Afrique reste encore, pour le moment, à la remorque des autres continents et principalement de l’Occident. L’information est véhiculée et manipulée à partir de l’Occident, d’où tout part. L’Afrique a besoin de s’émanciper et de faire appel à ses propres compétences, ses propres experts pour sortir de la situation calamiteuse dans laquelle elle se trouve parfois. On ne peut pas indéfiniment rester à l’écoute des autres et attendre leurs solutions. L’Afrique doit apprendre à prendre en main ses propres problèmes.

FF. Ces événements peuvent-ils gêner une éventuelle candidature d’un ou plusieurs pays africains pour l’organisation d’une manifestation mondiale ?

PD. – Je ne pense pas qu’il faille s’appuyer sur ces événements-là pour l’organisation d’une quelconque manifestation dans un pays africain, comme la Coupe d’Afrique des nations. De toute façon, les grandes compétitions mondiales n’ont pas encore pris leurs quartiers généraux en Afrique. À part en Afrique du Sud, qui a eu à organiser les Coupes du monde de football et de rugby, il n’y a pas eu d’autres pays africains désignés pour l’organisation d’une compétition mondiale. Pour le moment, il ne peut s’agir que de compétitions locales, africaines. Donc je ne vois pas quelles conséquences il faille tirer des événements d’aujourd’hui pour anticiper ou envisager l’avenir. Ce qu’il faut souhaiter, c’est que l’Afrique parvienne d’abord à éradiquer complètement ces maladies. Cela me paraît être une chose bien plus essentielle que l’organisation ou non d’une Coupe d’Afrique. Il faut arriver à soigner le peuple africain et à l’éloigner des maladies mortelles, là me paraît être la priorité aujourd’hui. Je pense d’abord au pain et à la santé, avant de penser au jeu.
 

 

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