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Le cénothaphe de Newton de Dominique Pagnier

parJérôme BESNARD, essayiste, chargé d’enseignement à l’université Paris Cité

Articles de la revue France Forum

Le nombre de germanistes est en fort recul en France. Curieusement, il aura fallu que s’instaure une paix durable avec l’Allemagne pour qu’une réelle méconnaissance de l’âme profonde de nos voisins se généralise dans notre pays. Une raison de plus de rendre hommage au roman de Dominique Pagnier qui n’a pas retenu suffisamment l’attention des principaux jurys littéraires. 

Ses qualités le placent pourtant au premier rang des livres parus lors de la dernière rentrée. Voici une fresque épique sur le monde germanique au XXe siècle, entre Vienne et Berlin, dépeint au travers du destin singulier d’un architecte communiste issu d’une grande famille bourgeoise prussienne. Sur près de six cents pages, l’auteur tisse une saga familiale, thème cher aux romanciers allemands et autrichiens, qu’ils situent l’histoire à Hambourg (Les Buddenbrook de Thomas Mann) ou dans l’Empire austrohongrois (La Marche de Radetzky de Joseph Roth).

Le narrateur du Cénotaphe de Newton, dont l’action principale se déroule en 2004, est un enseignant français, fils d’un militant démocrate-chrétien qui travaillait en Allemagne après-guerre. Ce dernier s’est remarié à une Autrichienne, Anke Arius, qui fait du narrateur son légataire universel. Le modeste professeur champenois est bien surpris de découvrir qu’elle possédait encore à Postdam, dans la partie orientale de Berlin, l’appartement de son père, l’architecte Manfred Arius (1900-2001) dont on va suivre les tribulations qui le menèrent en Union soviétique peu après la prise du pouvoir par les bolcheviks, mais aussi en Catalogne où il servit dans les Brigades internationales. C’est surtout le portrait de la société est-allemande qui est méticuleusement dressé par Dominique Pagnier. On y croise, par exemple, la Mission militaire française en Allemagne de l’Est, basée à Postdam, dont les aventures épiques et fort méconnues ont été contées par le général Patrick Manificat.

Malgré le harcèlement de la Stasi, la terrible police politique est-allemande, Manfred Arius va demeurer fidèle à ses engagements de jeunesse alors qu’il aurait pu assez facilement passer à l’Ouest : « Pour sclérosée dans sa bureaucratie et tenue dans l’incurie par des vieillards que lui apparût la RDA, elle était un moindre mal par rapport aux démocraties libérales soumises aux lois du progrès technique, lequel n’était qu’au service du capital et ne visait qu’à évincer les hommes du monde du travail. »

Dans ce Cénotaphe de Newton, l’auteur tire un beau parti du destin d’un artiste militant « élevé sous les portiques monumentaux des demeures construites par ses ancêtres, lesquels avaient depuis plus de deux siècles été mêlés à l’Histoire, fréquentant une aristocratie dont l’origine immémoriale en faisait la descendance des dieux, ces dieux de marbre qui étaient figés dans des postures terribles sur les attiques des monuments familiaux ». Le prisme français du narrateur qui préside à cette plongée dans le XXe siècle allemand fonctionne très bien, parachevant de rendre particulièrement convaincant ce roman inattendu.


Le Cénotaphe de Newton, 2017 – 23,90 €

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