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Le Brexit, une erreur historique ?

parNicolas BOUZOU, économiste, président d’Astérès

Articles de la revue France Forum

En politique comme dans le monde de l’entreprise, on se complaît à voir en chaque événement imprévu à la fois un risque et une chance. 

Cette fadaise est presque tautologique. Notre réalité est le produit de ce qui nous arrive et de nos actions propres. En fonction de ces dernières, tous les événements peuvent produire un résultat positif ou négatif. En économie, en politique ou en géopolitique, il est plus astucieux de se demander comment profiter des contraintes exogènes, comment détourner chaque événement, y compris ceux d’apparence malheureuse, en un profit. Ainsi, d’une analyse convenue, on passe à un principe d’action. Ce principe d’action est très exactement celui qui doit guider la politique européenne après le Brexit. Il n’est pas inutile de continuer de disserter sur les causes de ce Brexit, sur la dangerosité de l’outil référendaire, sur la montée du nationalisme et de la post-vérité, l’un s’identifiant quasiment à l’autre… Mais la grande question est : quelle Europe après le Brexit ? Quelle relation avec le Royaume-Uni ? Comment faire de ce mal un bien, à la fois pour les Européens (cela ne devrait pas être trop difficile) et pour les Britanniques (cela le sera davantage).

À long terme, il semble utile de considérer que le Royaume-Uni fera « quasiment » partie de l’Union européenne, mais sans y demeurer. Quoi qu’en disent des personnalités aussi affutées que Tony Blair ou Nick Clegg (qui vient de publier un livre instructif1), le Royaume-Uni n’a plus la possibilité de revenir en arrière. D’une part, parce que ce qui est fait est fait. Ce référendum a été une erreur historique pour le Royaume-Uni. C’est le pays tout entier qui doit désormais en assumer les conséquences. D’autre part, parce que l’UE a entamé une réflexion très fructueuse sur la vie sans le Royaume-Uni et qu’elle est désormais engagée dans cette direction qui va sans doute lui permettre d’accroître le niveau d’intégration dans certains domaines, notamment dans le domaine militaire. De ce point de vue, le Brexit et l’élection de Donald Trump auront, malgré eux, rendu un grand service à l’Union. En même temps, le Royaume-Uni fait partie de la civilisation européenne, au même titre que la Norvège ou la Suisse. S’il ne peut accéder aux avantages de l’Union (par exemple, le marché unique) aux mêmes conditions que ses membres, l’UE et le Royaume-Uni doivent s’engager sur la voie d’un « bilatéralisme renforcé » en accentuant les coopérations sur les sujets militaires, environnementaux, de recherche et d’infrastructure. D’où l’idée, non d’une appartenance à l’UE, mais d’une « quasi-appartenance ». Il est aussi capital que nous trouvions un arrangement qui permette au Royaume-Uni d’accéder au marché unique du numérique, encore en gestation, si nous voulons développer sur notre continent des entreprises qui comptent dans le domaine des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et technologies cognitives – dont l’intelligence artificielle).

Cette intégration approfondie à l’intérieur de l’Union et ce bilatéralisme renforcé avec le Royaume-Uni seront facilités par le reflux des populismes. Bien entendu, les racines du populisme (la difficile gestion de l’accélération de la mondialisation et de la destruction-créatrice schumpétérienne) sont toujours présentes. Mais les difficultés du Brexit, les frasques de Donald Trump, la fuite ridicule de Carles Puigdemont en Belgique, les outrances de Jean-Luc Mélenchon et l’écroulement de Marine Le Pen lors du débat de l’entre-deux-tours ont terni l’image des extrêmes, de droite comme de gauche. Si Emmanuel Macron obtient des résultats positifs sur le front économique d’ici à la fin de son mandat (ce que tout laisse à penser), la tentation populiste sera affectée. À moyen-long terme, l’objectif à atteindre et la voie à suivre sont donc à peu près clairs. Reste la difficulté du court terme soulevée par les négociations de sortie. À cet égard, la stratégie de fermeté de Michel Barnier est la bonne. Le Royaume-Uni a décidé unilatéralement de sortir, c’est donc ce pays qui est demandeur, pas l’Union. Et l’Europe a de ce fait parfaitement raison d’exiger des garanties extrêmement solides sur la capacité de ses ressortissants à vivre et à travailler au Royaume-Uni. En agissant de la sorte, c’est aussi aux Britanniques que nous rendons un grand service.

 


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1. How to Stop Brexit (and Make Britain Great Again), Random House, New York, 2017. 

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