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La réussite relative en politique

parNicole FONTAINE, avocate, ancienne présidente du Parlement européen, ancien ministre

Articles de la revue France Forum

Qu'est-ce qu'une vie réussie ?
Qu'est-ce qu'une vie politique réussie ?

La réussite en politique est relative à l’idée qu’on s’en fait. Elle se décline diversement. Il y a la réussite des carriéristes, indétrônables ou météores, au firmament de l’actualité le temps de fonctions élevées et médiatisées qu’ils ont obtenues ou qu’on leur a octroyées, mais dont le bilan devient imperceptible lorsqu’ils quittent la scène. Il y a la réussite des visionnaires qui, par leur ténacité, la sincérité désintéressée de leur engagement passionné pour l’intérêt commun, ont su braver les obstacles pour faire avancer l’organisation de la société, même s’ils ne sont reconnus que lorsqu’ils ne sont plus. Et il y a la réussite des immortels, ceux dont l’Histoire, par-delà les générations qui se succèdent, continue de retenir la personnalité, le parcours et les actes comme des références d’exemplarité. Réussir sa vie politique est plus que réussir dans la vie politique. Cela vaut pour les femmes autant que pour les hommes.

Cela étant rappelé et devant l’être, le débat se concentre le plus souvent sur les différences, réelles pour certaines, supposées pour d’autres, des conditions dans lesquelles les femmes, par comparaison avec les hommes, peuvent accéder à des fonctions politiques éminentes et y réussir. Le problème de fond qui est posé est celui de l’égalité des chances entre les genres. De ce point de vue, il reste évident que les femmes, malgré une évolution rapide et manifeste qui s’impose sur l’ensemble du monde, continuent de se heurter à des obstacles spécifiques.

En politique, comme dans l’univers professionnel, chacun le sait bien, le plus difficile pour les femmes n’est pas d’exercer de hautes fonctions et d’y réussir. Quoiqu’on en disserte encore, le genre féminin n’a, dans son ensemble, ni plus ni moins de qualités et de défauts que le genre masculin, qu’il s’agisse de compétence, d’ambition légitime et noble, de sens des relations humaines ou, à l’inverse, de goût de pouvoir et d’autoritarisme. Le plus difficile, et c’est le préalable incontournable, est d’accéder à ces fonctions de responsabilités et d’influence, et certains handicaps sont propres aux femmes.


LA CONQUÊTE DE L’ÉGALITÉ RÉELLE, UNE LONGUE MARCHE. Le plus lourd est évidemment la situation dont les femmes héritent dans le pays où elles sont nées et vivent, lorsque, du fait de son histoire, la domination masculine dans les mandats électifs et les préjugés sexistes sont encore très ancrés. En témoigne, par exemple, la différence, souvent citée, de chances pour les femmes entre l’Europe du Nord et celle du sud. Lorsque les postes élevés sont excessivement figés sur des hommes, la conquête requiert le plus souvent de repartir de la base pour s’implanter. Il y a peu de « coupe-files » et la conquête de l’égalité réelle restera une longue marche.

Pour ce qui est de la France, le fait qu’il ait été nécessaire d’imposer par la loi la parité dans la plupart des élections n’est pas à porter au crédit de son histoire et des valeurs d’égalité dont elle se fait le héraut moralisateur universel. En revanche, l’un des effets certains de la construction européenne a été, grâce au brassage fécond des nations et des cultures des élus de tout un continent, de provoquer cette évolution nécessaire.

Il existe cependant des obstacles que l’évolution des mentalités et de traditions trop ancrées ne pourra jamais lever totalement parce qu’ils sont propres aux femmes : le fait que la femme, plus que l’homme, même dans une société égalitaire, aura toujours une « deuxième journée » pour la famille, aussi prégnante que l’engagement professionnel ou politique ; le fait que la période des trente à quarante ans, qui est la plus favorable à des chances de carrière professionnelle ou politique, est aussi, le plus souvent, celle de la venue des enfants et contraint à des choix toujours frustrants ; le risque de dissociation du couple, de plus en plus observée, lorsque, du fait de la réussite politique personnelle de la femme, l’équilibre de l’archétype ancestral sur lequel repose ce couple culturellement, même s’il est refoulé dans la conscience, se délite progressivement.


MACHIAVEL N’EST JAMAIS TRÈS LOIN. Lorsque les femmes parviennent à l’exercice de fonctions politiques élevées, elles ont alors autant de chances de réussir que les hommes. Comme l’écrivait récemment l’une d’entre elles, Anne Lauvergeon, « il y a aussi des avantages à être des femmes dans un monde d’hommes ». C’est notamment celui d’une plus grande visibilité, devenue incontournable dans notre société hyper-médiatisée de l’instant.

La différence, encore très tenace, tient au fait que les femmes doivent constamment prouver plus que les hommes et, pour ce faire, souvent travailler plus. Ce qui peut être vécu comme une période exaltante est aussi souvent accompagné de l’angoisse permanente, de jour comme de nuit, non pas de briller, mais de commettre la faute fatale qu’on pardonnerait sans doute à un homme, mais pas à une femme.

Cela dit, pour durer en politique et fonder ainsi durablement leur réussite, les femmes ont plus particulièrement besoin de trois atouts complémentaires qui ne leur sont pas spontanément familiers. Le premier est le maintien d’un haut niveau de notoriété, non pas seulement dans les cercles restreints du pouvoir, mais dans l’ensemble de la population, car c’est le peuple entier qui vote, et la notoriété positive, qui doit être très étendue, est souvent un facteur décisif de son choix. Il suffit pour le constater de lire les sondages qui classent les personnalités préférées des Français. Le deuxième est le maintien de la capacité de peser ou, en d’autres termes, de nuisance. Cela peut paraître cynique de le dire ainsi, mais la vie politique est dure, brutale, impitoyable aux faibles. En politique, depuis toujours, Machiavel n’est jamais très loin. Détenir un fief, en dépit des effets pervers que cela induit, a toujours été la meilleure assurance vie de la longévité en politique. Enfin, le troisième, l’action personnelle, doit s’appuyer sur un réseau démultiplicateur. En politique, la promotion de personnalités féminines issues de la société civile et appelées pour une compétence ou une notoriété, jugée utile à un moment particulier, s’est souvent révélée n’être que passagère, « un fusil à un coup », comme disent certains, dès lors que ces personnalités n’étaient pas reconnues comme faisant partie de la « meute ».

Pour conclure, lorsqu’est venu le temps de quitter la scène politique, ce qui reste au cœur, et qui mesure la vraie réussite politique, ce sont les actes forts, suivis d’effets positifs durables, que l’on a eu le courage de faire, par conscience et lucidité au service de l’intérêt commun, c’est-à-dire sans que la considération flatteuse qui pouvait en résulter en ait été le déterminant d’opportunité. De ce point de vue, homme ou femme, il n’y a pas de différence. 

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