Arpenter la Ville Lumière

parJérôme BESNARD, essayiste, chargé d’enseignement à l’université Paris Cité

Articles de la revue France Forum

Les éditions du Sandre ont eu l’heureuse idée de publier l’intégralité des chroniques parisiennes rédigées de 1934 à sa mort par l’homme de lettres parisien Léon-Paul Fargue (1876-1947). 

Elles constituent ainsi le premier tome de ses œuvres complètes rassemblées et présentées par Barbara Pascarel. Un volume de poèmes suivra. Versificateur oublié dont le nom n’évoque au mieux, pour beaucoup de nos contemporains, que le titre de son livre de souvenirs Le Piéton de Paris, paru en 1939 chez Gallimard, Léon-Paul Fargue méritait d’être redécouvert pour ses chroniques et ses évocations parisiennes. Dans sa présentation, Barbara Pascarel témoigne de son enchantement toujours renouvelé à la lecture de ses pages d’un passé révolu : « Le Paris d’autrefois et celui que Fargue voit naître sous ses yeux se juxtaposent en un kaléidoscope vibrant d’images, de lignes brisées, d’émotions. »

Né dans le quartier des Halles, alors plein de vie et d’animation nocturne, repreneur de l’entreprise familiale, Léon-Paul Fargue attendra 1934 pour entamer une tardive carrière de chroniqueur au Figaro qui lui conférera une notoriété certaine à travers l’Europe d’alors. Observateur né, promeneur et convive attentif à ses rencontres, Léon-Paul Fargue possédait un talent inégalé pour brosser le portrait d’un quartier. Au lendemain du premier conflit mondial, il devient un habitué du Bœuf sur le toit, le cabaret parisien de la rue Boissy-d’Anglas où il côtoie Jean Cocteau, Paul Morand, Maurice Ravel ou encore Georges Auric. Il passe ses dernières années paralysé, dans son appartement du boulevard du Montparnasse, où la photographe Gisèle Freund l’immortalise écrivant depuis son lit, un chat à ses côtés. L’amateur éclairé rangera avec profit dans sa bibliothèque ces témoignages précieux sur la vie quotidienne et mondaine du Paris d’autrefois entre le volume des Pays parisiens de Daniel Halévy (1872-1962) et ceux du Paris vécu de Léon Daudet (1867-1942).

Léon-Paul Fargue est un amoureux passionné de sa ville, ville-monde qui incite volontiers à la flânerie : « paris est une espèce de dimanche posé sur le destin des hommes. La cité profonde et jolie n’a presque rien à faire, en dehors des fils spéciaux, avec les autres capitales. C’est une ville de sortilèges, à cheval sur le passé et sur l’avenir, la préface d’un bel album. On sort d’une gare, on enfile une rue, puis une autre  ; on débouche sur une place, et tout se présente à l’esprit sous un aspect nouveau, chargé de possibilités et d’excitations. »

Il est toujours plaisant de voir ressurgir des rayonnages des bouquinistes l’œuvre d’un écrivain oublié. Léon-Paul Fargue a su saisir l’atmosphère d’un Paris qui n’était pas encore devenu une ville-musée, une destination dédiée au tourisme de masse, mais qui demeurait un lieu de créations artistiques majeures et une cité offrant des quartiers à taille humaine au pas de ses habitants et de ses visiteurs moins pressés que ceux d’aujourd’hui.


Léon-Paul Fargue, L'Esprit de Paris, Editions du Sandre, 2020 - 35 €

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