Lakhdar Brahimi : « Daesh sera vaincu, il n’y a pas de doute »

3 Mars 2015
Actualité

Le printemps arabe a suscité beaucoup d’attentes. Ces événements vont avoir des conséquences durables et peut-être, à long terme, des résultats positifs.

Pour faire le point sur la situation actuelle dans le monde arabe, l’institut Jean Lecanuet s’est entretenu avec Lakhadar Brahimi, ancien ministre des Affaires étrangères d’Algérie, ancien secrétaire général adjoint de l’Onu, conseiller spécial chargé des résolutions des conflits à l’Onu.

Ce dernier reprend l’exemple de la Révolution française qui s’est stabilisée à partir de 1870 pour évoquer le printemps arabe. Il espère que cela ira plus vite dans le monde arabe, bien qu’il reconnaisse qu’il ne fallait pas s’attendre à des résultats spectaculaires dans les années qui ont suivi. La Syrie est le centre de l’attention, mais il faut également regarder du côté de la Libye. Ce qui s’y passe est extrêmement dangereux. Les menaces pèsent sur les Libyens, et cela touche également des pays comme la Tunisie où ils sont plus d’un million à vivre désormais. Les pays du Sud aussi sont concernés, notamment par le déversement d’armes de toute nature. L’Égypte est extrêmement nerveuse et regarde de près la Libye. Le Yémen est un problème qui renaît. La situation est précaire et ne va pas faciliter les relations entre l’Iran et ses voisins.

Institut Jean Lecanuet. – Comment la communauté internationale peut-elle renforcer son aide aux civils syriens ?

Lakhdar Brahimi. – La vraie solution au problème humanitaire de la Syrie, c’est la résolution du conflit sanglant qui y sévit depuis quatre ans. L’aide humanitaire est nécessaire, bien sûr, mais ce n’est que de petits pansements. Il n’y a pas de doute quant au fait que les Syriens ont besoin d’être aidés car le nombre de réfugiés à l’étranger et de déplacés qui errent à travers le pays représentent tout de même le tiers de la population du pays. Mais il faut que la communauté internationale, et surtout les états de la région, s’impliquent sérieusement pour aider les Syriens afin de régler le problème politique.

IJL. – Quels sont les obstacles les plus importants à une sortie de crise en Syrie ?

LB.– D’un côté, le gouvernement croit qu’il est en train de gagner et ne voit donc pas l’utilité de faire des concessions. De l’autre, l’opposition demande un changement radical, mais les pourparlers sont inexistants pour le moment. Comme cela arrive souvent, pour dire les choses simplement, les Syriens ne parviennent pas à régler leur problème eux-mêmes. Ceux qui peuvent les aider, ce sont d’abord leurs voisins qui, actuellement, contribuent plutôt à la préservation du statut quo. Ce sont aussi les pays les plus puissants car, en effet, le Conseil de sécurité prétend maintenir et rétablir la paix dans le monde. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, dont la France, ont un poids beaucoup plus important que celui des dix autres.

IJL. – Comment la montée en puissance de Daesh a-t-elle redistribué les cartes géopolitiques ? Quelle est la nature de ce conflit ?

LB. – La religion est utilisée partout dans le monde, mais peut-être dans notre région plus qu’ailleurs. Il faut souligner que Daesh illustre très bien l’incapacité de la communauté internationale d’accorder, suffisamment à temps, toute l’attention nécessaire à cet extrémisme, d’abord en Irak. Daesh n’est pas né en Syrie, ni à cause du conflit qui y sévit ; cette organisation est la mutation d’al-Qaida qui fut la conséquence directe de l’invasion de l’Irak et de sa déstabilisation par les états-Unis. Ce que les états-Unis ont mis à la place de l’ancien régime de Saddam Hussein n’a pas été le nouvel état sérieux, solide et équilibré dont une société aussi complexe que la société irakienne a besoin. Daesh sera vaincu, il n’y a pas de doute, mais dans combien de temps ? à cet égard, je crois qu’il faut tout de même dire que bombarder à partir de la mer ou depuis 30 000 pieds d’altitude ne va pas résoudre le problème. C’est peut-être indispensable, mais ça ne produira les effets souhaités que si cela fait partie d’un projet politique suffisamment bien élaboré pour régler les problèmes qui se posent en Irak, en Syrie et dans la région.

Propos recueillis par Sarah Robin

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