L'avenir de l'État providence en Europe : adapter le modèle social

parPierre BENTATA, professeur à l'ESC Troyes, directeur de Rinzen Conseil, Cercle de Belém
18 Novembre 2016
Actualité

Deuxième intervention du colloque "L'avenir de l'État providence". L'ensemble des interventions sera publié sur notre site, rubrique "Actualités". Ce colloque était organisé par le Cercle de Belém et l'institut Jean Lecanuet, le 2 décembre 2015, au palais du Luxembourg.

Trois défis majeurs apparaissent simultanément, dont les effets conjugués peuvent être très destructeurs pour l’État providence : la dette publique, le vieillissement démographique et l’innovation technologique. 

Concernant le premier point, la dette publique, l’incapacité à maîtriser les dépenses publiques est le signe d’un essoufflement du système. Deux grandes solutions se présentent à nous. La première consiste à maintenir le fonctionnement actuel du système en préservant certaines missions et en en abandonnant d’autres. Cette solution nécessite un consensus et risque de se heurter à d’importantes tensions sociales.

La seconde solution consiste à conserver l’ensemble des missions et prestations de l’État en modifiant le rôle de ce dernier dans l’État providence. Dans cette option, l’État devient simplement le garant de services rendus et de la sécurité du système dans sa globalité. Il fixe des objectifs de qualité et laisse l’économie de marché s’exprimer grâce à une concurrence entre prestataires, permettant ainsi baisse des coûts et amélioration de la qualité. Beaucoup de pays ont déjà suivi cette voie, comme les Pays-Bas. Les résultats semblent assez probants.

Le temps presse pour prendre une décision. Le vieillissement de la population entraîne une explosion des coûts, particulièrement en cette période de transition : les coûts de la maladie et de la dépendance s’accroissent. Il en résulte un écart croissant entre les recettes de l’État et les besoins en dépenses publiques. Si aucune action n’est décidée, nous assisterons à un « matraquage » des actifs et à un conflit de classe inédit entre actifs et inactifs. 

Le vieillissement démographique affecte également la population des médecins. Pour de multiples raisons, notamment réglementaires, le nombre de départs en retraite excède le nombre d’arrivées sur le marché du travail. Les prix étant réglementés, il en résulte files d’attente et déserts médicaux. La France se compare d’ores et déjà très défavorablement aux autres pays de l’OCDE pour la médecine de l’œil et les soins dentaires.

L’innovation rend la situation également critique. L’économie collaborative, ou économie du partage, fait ainsi émerger le statut d’indépendant ou de freelance. Ils sont d’ores et déjà 1,6 million en France à avoir ce statut et leur nombre croît de 600 personnes par jour. Or, le dispositif de protection sociale et le droit du travail reposent uniquement sur le lien entre employeur et employé. Ce lien sera bientôt dépassé. Le danger ne tient pas tant à une « uberisation » de la société qu’au fait que les indépendants n’ont aucun moyen de prévoir leur avenir professionnel. Cette multiplication des indépendants signifie aussi une grogne croissante : presque tous se plaignent déjà du RSI. Un indépendant peut facilement minorer ses revenus déclarés. Ce mécontentement peut donc se traduire par une baisse des recettes fiscales, qui viendra à son tour augmenter les tensions.

L’innovation est également technologique. On s’accorde à dire que plus de 1 500 maladies héréditaires seront éradiquées d’ici à 2020, pour les spécialistes les plus optimistes, ou d’ici à 2030, pour les plus pessimistes. Le cancer sera devenu une maladie chronique. Les technologies nouvelles permettront d’opérer un patient à l’autre bout du monde. Ces innovations font disparaître les frontières médicales : il n’est plus pertinent de raisonner en termes nationaux. 

Toute innovation est très coûteuse à son entrée sur le marché. D’ores et déjà, l’Assurance maladie ne peut prendre en charge des médicaments soignant certaines formes d’hépatite. Faute d’assurance santé, ces innovations seront disponibles sur un marché « gris », où elles ne seront accessibles qu’aux plus riches. Il risque d’en découler une véritable inégalité devant la qualité de vie, devant sa durée et, in fine, devant la mort. Si certaines inégalités sont acceptables, celle-ci peut faire voler en éclats le modèle social et détruire la légitimité de l’État.

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