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CoCos et libéraux, new african way of life

parSylvère-Henry CISSE, journaliste, président de Sport & Démocratie

Articles de la revue France Forum

La scène se déroule à la réception de l’hôtel Terroubi, à Dakar, sur fond de paysage balnéaire.

Lui : « Mais que fais-tu ici ? »

Elle : « Je suis là pour Dak’Art. »

Lui : « Tu arrives de Paris ? »

Elle : « Non, je viens d’Abidjan, où je travaille au lancement d’une galerie d’art contemporain. Et toi ? »

Lui : « Je passe la moitié de l’année ici. J’y ai créé un fonds d’investissement dans les nouvelles technologies. Le reste du temps, je suis entre Rabat et Washington pour mes affaires dans l’immobilier. Et aussi à Paris où je m’enjaille1. »

Cet échange aurait aussi bien pu se dérouler à Abidjan, Kigali, Lagos, Accra, Cotonou ou Brazzaville. Nous pourrions aisément imaginer qu’il soit tenu par des expatriés français. Il n’en est rien. « Elle » et « Lui » sont africains. Ils représentent l’émergence d’une catégorie socio-professionnelle africaine au statut et au rôle social spécifiques. Avec Olivier Théophile, nous les observons de longue date. Nous les avons baptisés les CoCos et libéraux. Quelle drôle d’association me direz-vous ? Loin d’être une opposition, cette expression désigne, en réalité, les cosmopolites contemporains et libéraux.

Il s’agit d’une population africaine, urbaine, au fort pouvoir d’achat. Cosmopolite, et donc qui s’accommode aisément des usages et des mœurs des pays visités. Elle est aussi concernée, cultivée, diplômée, connectée, aisée, volontaire, flexible et afro-optimiste. Les CoCos et libéraux peinent, cependant, à attirer l’attention des démographes et des sociologues. Dépositaires d’une « new african way of life2 », à l’image de l’évolution du continent, ils sont issus d’une tendance, il y a peu encore, embryonnaire. Mais une tendance qui croît en épousant parfaitement les courbes de la croissance économique du continent.

Ce mouvement grossit aussi par le renforcement des « repatriés » qui constituent une migration heureuse. Cette génération issue des diasporas parties étudier et travailler en Europe est aujourd’hui fermement décidée à créer une activité en Afrique. Ce groupe se distingue nettement de celui des institutionnels et « fils de », tant honnis par les contempteurs de la Françafrique. Les CoCos et libéraux se reconnaissent par une appétence pour un mode de vie où se mêlent culture, savoir-vivre, ambition personnelle avec, fait nouveau, des préoccupations humanistes et citoyennes nettement marquées. Paris, Dakar, Abidjan, etc., la force de cette population réside dans sa capacité à se déplacer sans se dépouiller de ses origines.

Mais pourquoi n’avez-vous jamais entendu parler des CoCos et libéraux ? Pour une raison évidente : cette catégorie n’intéresse pas, ou peu, les médias avides d’actualité chaude. L’information se nourrit d’éléments anxiogènes et n’évoque jamais les trains qui arrivent à l’heure. Quelle dramaturgie créer avec les CoCos et libéraux ? Si ce n’est un journal des bonnes nouvelles, loin de l’actualité des migrants, de l’extrémisme religieux ou autres drames du quotidien.

Par ailleurs, il est un autre motif de réjouissance : l’expression et la vivacité de l’espace francophone. Même si, les chemins des uns et des autres peuvent se croiser dans des métropoles anglophones telles qu’Accra ou Lagos, c’est surtout dans les villes des dix pays de l’Afrique francophone que la communauté des CoCos et libéraux se retrouve. Oui, ses membres s’expriment sans crainte dans la langue de Shakespeare. Mais avec le maillage des liens nombreux tissés lors de diverses manifestations dans lesquelles ils se retrouvent, les CoCos et libéraux consolident le français en tant que langue d’affaires et stimulent un environnement favorable aux échanges commerciaux et à l’industrie culturelle.

Pour cela, l’annonce par le président Emmanuel Macron d’une saison des cultures africaines en France en 2020 est une bonne nouvelle.

 

 


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1. « Passez du bon temps » en argot ivoirien, expression populaire des années 1980.
2. Le nouveau mode de vie africain

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