©Guillaume Mougin

Un partenariat incontournable

parYves POZZO DI BORGO, président de l'institut Jean Lecanuet, ancien sénateur de Paris

Articles de la revue France Forum

Annexe1

Cette rencontre intervient à une période clé dans les relations avec la Russie : qu’il s’agisse de la lutte contre le terrorisme ou contre le réchauffement climatique, de l’énergie, de la Syrie ou encore de la crise migratoire en Europe. Les relations entre l’Europe et la Russie traversent une période de fortes tensions, en particulier depuis le déclenchement de la crise ukrainienne et les sanctions prononcées par l’Union européenne à l’encontre de la Russie.

Or, au-delà des désaccords, et compte tenu de l’interdépendance entre l’Europe et la Russie et du rôle majeur de cette dernière sur la scène internationale, il est indispensable d’entretenir un dialogue étroit entre l’Union européenne et la Russie, dans lequel la France peut jouer un rôle important.

Il y a déjà quelques années, en 2007, j’ai rédigé, dans le cadre de la commission des affaires européennes du Sénat, un rapport2 d’information sur les relations entre l’Union européenne et la Russie, rapport qui avait fait l’objet d’une traduction en russe. Au cours de mes nombreux entretiens et déplacements à Bruxelles, à Berlin et à Moscou, j’avais été frappé par le sentiment d’incompréhension réciproque et par la vision souvent héritée du passé de mes interlocuteurs, y compris en France. Or, depuis la fin de la guerre froide, la Russie a considérablement évolué et on ne peut pas regarder la Russie d’aujourd’hui comme il y a une vingtaine d’années.

Dans un deuxième rapport3 d’information, rédigé en 2011, dans le cadre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, j’avais proposé l’établissement d’un partenariat stratégique spécifique entre l’Union européenne et la Russie.

Enfin, dans un récent rapport, rédigé conjointement avec Simon Sutour, au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, et qui devrait être suivi d’un second rapport plus étoffé, nous nous sommes intéressés à l’impact des sanctions économiques sur les relations de l’Union européenne avec la Russie4.

Quels sont les enseignements à retirer de ces différents travaux ? La principale conclusion est que l’Union européenne n’a jamais su élaborer, depuis la chute du mur de Berlin, une véritable stratégie concernant ses relations avec la Russie. On le voit bien à propos de la crise ukrainienne et des sanctions européennes à l’encontre de la Russie. Certes, l’Europe se devait de réagir face à l’annexion russe de la Crimée et au soutien apporté par la Russie aux séparatistes à l’est de l’Ukraine. Mais comment expliquer que la seule réponse de l’Union européenne a été de prononcer des sanctions financières qui ont eu pour effet de pénaliser, en premier lieu, les entreprises européennes présentes ou désireuses d’investir sur le marché russe ? Par ailleurs, on sait depuis longtemps que les sanctions internationales sont souvent contre-productives car elles ont pour effet d’encourager le repli nationaliste dans le pays visé. L’Iran en offre l’illustration. Aujourd’hui, la logique des sanctions est arrivée à son terme et il paraît indispensable d’en sortir et d’obtenir à Bruxelles une levée progressive, conditionnée à la bonne mise en oeuvre des accords de Minsk II.

Au-delà de la crise actuelle, il faut aller vers un partenariat stratégique spécifique entre l’Union européenne et la Russie ; et la France a un rôle particulier à jouer, avec l’Allemagne, envers nos partenaires européens. Pour l’Union européenne, la Russie représente son plus grand voisin et son premier fournisseur d’énergie. De son côté, l’Union européenne constitue, pour la Russie, son premier partenaire commercial et son principal débouché. Il existe donc entre les deux ensembles une réelle interdépendance et il est indispensable de renforcer leur coopération en matière économique, énergétique ou technologique. Je plaide donc pour la réalisation d’un « espace économique, énergétique, stratégique et humain commun » à l’échelle du continent européen.

Par ailleurs, si l’Union européenne veut jouer un rôle accru sur la scène internationale face aux États-Unis ou à des puissances émergentes comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, il est indispensable de renforcer les liens avec la Russie.

En sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la Russie représente un partenaire privilégié en matière de politique étrangère. Or, malgré la volonté de l’Union européenne d’assurer à la Russie sa place dans l’architecture européenne de sécurité, il faut bien reconnaître que la coopération dans ce domaine est restée limitée. Ainsi ne pourrait-on pas réunir périodiquement une sorte de conseil Union européenne-Russie en matière de politique étrangère et de défense, sur le modèle du conseil Otan-Russie ? Qu’il s’agisse de l’Ukraine, de la lutte contre le terrorisme international ou de l’Iran, la Russie apparaît comme un interlocuteur incontournable et il est important de maintenir ouverts tous les canaux de discussion. On le voit bien à propos de la Syrie et du rôle que pourrait jouer la Russie pour mettre un terme à ce conflit meurtrier et à la vague de réfugiés qu’il entraîne.

Mais les relations entre l’Union européenne et la Russie resteront incomplètes et fragiles si elles se limitent aux aspects diplomatiques et qu’elles ne s’accompagnent pas d’une multiplication des contacts dans la société civile. C’est pourquoi il est nécessaire de renforcer la coopération en matière culturelle, de développer la mobilité des étudiants et des chercheurs, d’encourager toutes les formes de coopération décentralisée ou encore de lancer des projets conjoints en matière industrielle ou technologique. Dans le domaine de la culture et de l’éducation, la coopération constitue un vecteur important de rapprochement entre les peuples. Or, force est de constater que, malgré de nombreuses déclarations, l’Union européenne ne s’est guère donné, jusqu’à présent, les moyens de mener une action ambitieuse dans ces domaines. Ainsi, le nombre d’étudiants russes qui bénéficient d’une bourse pour étudier dans l’Union européenne ou en France reste très limité. Dès lors, pourquoi ne pas envisager un ambitieux programme dans le domaine de l’éducation en multipliant par deux ou par trois le nombre de bourses destinées aux étudiants russes désireux de venir étudier dans l’Union européenne ?

Enfin, il faut supprimer l’obligation de visa et créer un véritable espace de libre circulation des personnes à l’échelle du continent européen. Cela constituerait un signal fort en direction de la Russie et favoriserait les échanges entre les citoyens des pays de l’Union européenne et les ressortissants russes. Multiplier les échanges humains, c’est le meilleur moyen, selon moi, d’encourager la démocratie et le respect des droits de l’homme. La France pourrait prendre l’initiative de simplifier significativement les procédures de délivrance des visas des ressortissants russes et militer pour la suppression pure et simple des demandes de visas entre l’Union européenne et la Russie.

En conclusion, l’interdépendance entre la Russie et l’Union européenne est telle qu’en réalité il n’existe pas, à mes yeux, d’autre choix qu’un partenariat stratégique.  


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1. Message distribué à l’ouverture du colloque, Yves Pozzo di Borgo se rendait à Saint-Pétersbourg pour participer à une rencontre sur le thème de l’énergie. (NDLR)
2. « Où va la Russie ? », rapport n° 416 (2007-2008). (NDLR)
3. « Pour un partenariat stratégique spécifique entre l’Union européenne et la Russie », rapport n° 664 (2010-2011). (NDLR)
4. « France-Russie : pour éviter l’impasse », rapport n° 21 (2015- 2016). (NDLR)

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