Arnaud Dubien

Retrouver le chemin de la "Maison commune européenne"

parArnaud DUBIEN,  Directeur de l’Observatoire franco-russe

Articles de la revue France Forum

Mise en perspective

A l’approche du 25e anniversaire de la chute de l’Union soviétique, un constat s’impose : les relations de la Russie avec l’Union européenne et, plus généralement, avec les pays occidentaux n’ont jamais été aussi mauvaises depuis la fin de la guerre froide. Les sanctions et les contre-sanctions, la suspension du G8, les exercices et les déploiements militaires en Europe orientale, les crispations doctrinales de part et d’autre en témoignent. Perceptions et « narratifs » dominants en Russie et en Occident s’éloignent de plus en plus. L’idée de convergence entre les deux ensembles, au coeur de la vision de nombreux dirigeants européens et russes depuis la fin des années 1980, paraît compromise pour longtemps.

Les responsabilités de ce rendez-vous manqué devant l’Histoire sont évidemment partagées. Les évolutions internes de la Russie y sont pour beaucoup. Aux premières dérives des années Eltsine (coup de force de l’automne 1993, choix de la répression en Tchétchénie un an plus tard, privatisations spoliatrices et émergence des oligarques, arrangements électoraux en 1996 et en 1999) a succédé une régression dramatique, particulièrement visible depuis le printemps 2012, en matière de libertés publiques. Si la Russie n’est pas une dictature, comme l’affirment de nombreux observateurs de plus ou moins bonne foi, elle n’a jamais été aussi éloignée des idéaux démocratiques ayant vu le jour il y a trente ans avec la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev. Les Occidentaux – et notamment les Américains – portent, eux aussi, une lourde responsabilité. En choisissant de célébrer leur victoire géopolitique (c’est le sens des élargissements de l’Otan et de l’UE) tout en repoussant les offres de coopération russes (après le 11 septembre 2001, puis en 2008 sous la présidence Dmitri Medvedev), ils ont privilégié le court terme et des choix stratégiques aussi contestables que dangereux. George Kennan, qui avait en son temps analysé le début de la guerre froide et prôné le containment de l’URSS, fut tout aussi clairvoyant – mais malheureusement moins écouté cette fois-ci – quand il mit en garde, il y a près de vingt ans, contre les conséquences funestes de la marche de l’Otan vers l’est. Que le grand malentendu russo-occidental trouve son dénouement dramatique en Ukraine ne doit rien au hasard. Aux yeux des Russes, population et élite confondues, ce pays – pour des raisons historiques, identitaires, économiques et stratégiques – occupe une place à part. Pour les stratèges américains, mais aussi pour certains Européens (en particulier ceux qui ont porté le projet de Partenariat oriental de l’Union européenne, c’est-à-dire les Polonais, les Suédois, les Baltes), l’Ukraine est la pierre angulaire d’une stratégie plus ou moins assumée de roll back de la Russie aux confins nord-est du continent.

Dans ce contexte, la France a un rôle essentiel à jouer. État et grande puissance avant d’être une nation, longtemps sensible aux notions de grandeur, de gloire militaire et de souveraineté, elle aussi tourmentée par son passé impérial et ébranlée dans ses fondements par la mondialisation, considérant – selon les propos du président François Hollande – la Russie comme un « pays ami », elle est sans doute la mieux placée pour renouer les fils du dialogue. Elle doit, aujourd’hui, tendre la main à la Russie afin d’empêcher sa dérive vers de dangereux et illusoires rivages eurasiens ; elle doit également faire entendre une voix raisonnable dans les instances euro-atlantiques et ne pas permettre la remise en cause des liens d’hier et de demain avec la Russie. Le colloque organisé le 12 novembre dernier par l’Observatoire franco-russe en partenariat avec l’institut Jean Lecanuet et l’IRIS a rassemblé experts, parlementaires, diplomates et universitaires des deux pays, dans un souci de pluralisme et d’équilibre. Puisse-t-il avoir contribué à une meilleure compréhension des enjeux liés à la Russie et à nos relations avec ce grand pays d’Europe.

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