NOTE DE LECTURE - PANORAMA

À quoi rêvent les algorithmes de Dominique Cardon

parThomas MERLE, chargé de communication

Articles de la revue France Forum

​Comptent-ils les 1 et les 0 ?

Ce titre aux accents oniriques avertit de la capacité qu’ont les algorithmes de façonner le réel en fonction de ce pourquoi ils sont programmés. Car, pendant qu’ils sont occupés à rêver en numéraire du meilleur résultat possible, nous restons à la fois fascinés et décontenancés devant leur complexité. Pourtant, nous dit Dominique Cardon, il y aurait fort à gagner à décrypter les boîtes noires de ces calculateurs-prescripteurs, car loin d’être impartiaux et objectifs, les calculs sont effectués selon des variables limitées et incomplètes.

Le temps des grands agrégats statistiques mesurant la société dans son ensemble semble révolu. Nous avons désormais les moyens de mesurer chaque individu.

Si les agrégats passés n’étaient pas forcément précis, ils portaient néanmoins en eux une volonté de cohésion et de construction d’un projet commun. Les conclusions tirées du Big Data servent quasiment exclusivement l’« efficacité » commerciale. Les profils d’utilisateurs (clics, visionnages, achats, déplacements...) sont vendus à des entreprises pour qu’elles puissent proposer offres et services de façon « optimale ». Mais les données collectées sont partielles et fragmentées. Les algorithmes deviennent alors des diseurs de bonne aventure : en fonction des informations limitées que nous leur fournissons, ils supposent de futurs comportements de consommation. Mais qu’en est-il du libre arbitre et du développement des individus lorsque les choix proposés sont limités à ceux que la machine suppose être pertinents pour chacun ? Attention à ne pas basculer dans une dictature du connu dans laquelle les choix réputés les meilleurs s’imposeraient en fonction de ceux déjà effectués.

Dans cet ouvrage mêlé de crainte et de fascination, Dominique Cardon recommande une prise de distance, une entrée « par le milieu » : le Big Data doit mesurer les individus à l’intérieur de la société, non pas uniquement au sein d’un écosystème numérique restreint. Il faut donner un projet de société à la mesure algorithmique, au-delà du simple calcul des envies de consommation probables. Cela demande cependant une architecture numérique plus développée et plus ouverte : si le calcul de l’activité numérique ambitionne de retranscrire la réalité des comportements humains, alors l’analyse doit prendre en compte toutes les variables des choix effectués par les individus, pas seulement ceux mesurés par une puce GPs, un podomètre ou un robot-traceur. 


Seuil, « La République des idées », 2015 – 11,80 €

Littérature
Révolution numérique
Données massives
Société
Technologies