FF 62 - Visuel article DE SOTO - PANORAMA

Les nouveaux enjeux de la diplomatie

parAlvaro de SOTO, ambassadeur du Pérou en France

Articles de la revue France Forum

Secrétaire général de l'Onu : ce métier si particulier de faiseur de paix.

Tant qu’il y aura des États, il y aura de la diplomatie et des diplomates : les États en ont besoin pour gérer leurs relations et leurs affaires mutuelles de manière ordonnée et prévisible et pour donner bonne et due forme aux accords auxquels parviennent leurs chefs d’État et ministres. Et aussi pour minimiser les frictions, assurer des voies de communication et garder les éléments essentiels de civilité. De nos jours, la question qui se pose est de savoir si les institutions et les protagonistes de la diplomatie tels que nous les connaissons, y compris les instances interétatiques globales et régionales, sont en mesure d’affronter la nuée de défis surgis depuis la fin de la guerre froide.

La paix de Westphalie (1648), qui a mis fin à la guerre de Trente Ans, a établi la notion contemporaine d’État, élément central et acteur principal des relations internationales. Le congrès de Vienne (1815) a, ensuite, mis en place les règles coutumières de la diplomatie et de la représentation diplomatique et a reconnu l’existence d’une communauté épistémologique distincte exercée par des professionnels que l’on dénomme diplomates. Fondé sur un subtil équilibre du pouvoir entre les principales puissances européennes, il a permis à l’Europe d’éviter, pendant un siècle, une guerre généralisée. La Première Guerre mondiale a fait éclater cet ordonnancement et, face à l’impossibilité de reconstruire le concert des nations de 1815, la conférence de Paris de 1919 a fait naître la Société des Nations (SDN), première esquisse d’un système de sécurité collective. Pour les raisons qu’on sait, y compris l’absence des États-Unis d’Amérique de cette institution, cette aspiration n’a pu se réaliser. Toutefois, l’idée d’une responsabilité, ou du moins d’un engagement, de la communauté globale pour résoudre les conflits a survécu à la Deuxième Guerre mondiale.

Peu de temps après celle-ci, et vu l’échec de la SDN, le président Franklin D. Roosevelt réfléchit à un nouveau système de sécurité collective, plus musclé et plus efficace, conçu de manière à donner aux États-Unis la place centrale : l’Organisation des Nations unies. La mécanique de décision pour maintenir la paix et la sécurité internationales, si paralysée du temps de la SDN, serait confiée, cette fois, à l’organe principal, le Conseil de sécurité, où l’unanimité ne serait pas nécessaire, mais où chacun des cinq membres permanents y posséderait un droit de véto.

La vision de Roosevelt ne s’arrêtait pas là. La Charte confia à celui que l’on dénomma secrétaire général – comme son prédécesseur à la SDN – des responsabilités qui allaient bien au-delà de l’administration pure et simple. Elle lui octroyait des responsabilités nettement politiques, telles que la capacité discrétionnaire d’attirer l’attention du Conseil sur des situations qui pourraient constituer une menace au maintien de la paix. La combinaison de ces responsabilités explicites et la pratique établie depuis offrent à un secrétaire général avisé l’espace pour jouer un rôle important dans la recherche de la paix, en tant que partenaire du Conseil de sécurité.

Ainsi, sans le dire expressément, en permettant à une organisation interétatique et à son chef de jouer un rôle que les États jusqu’alors se réservaient, une barrière qualitative fut franchie. À San Francisco a été bel et bien semée la graine d’un nouveau protagoniste diplomatique qui puise sa légitimité, non pas dans la souveraineté, mais dans la Charte. C’était le premier pas d’une nouvelle ère pour la diplomatie qui, certes, ne se substitue pas au rôle central des états qui en sont les acteurs diplomatiques traditionnels, mais se centre sur la recherche et le maintien de la paix par la voie pacifique des bons offices et de la médiation – sans exclure la possibilité que le Conseil se réserve de prendre des mesures pour imposer ses décisions, y compris l’usage de la force.

L’ancien secrétaire général Boutros Boutros-Ghali disait que la fin de la guerre froide était un tournant de l’histoire aussi important que la fin des guerres napoléoniennes ou des deux guerres mondiales. Il a plusieurs fois posé la question de savoir si on ne devait pas, comme on l’avait fait à Vienne en 1815, à Paris en 1919 ou à San Francisco en 1945, faire une pause pour que les États puissent réfléchir aux nouveaux enjeux et défis ainsi qu’aux ajustements au système de sécurité collective qui s’imposaient. Peut-être aurait-il fallu donner suite à son idée. Mais le Conseil de sécurité était saisi par les défis du moment tels que la Bosnie, la Somalie et le Rwanda, et l’heure n’était pas à la réflexion.
 

DE NOUVEAUX DÉFIS. On peut regrouper ces défis en trois catégories. La première consiste dans la prévalence des conflits internes. Ceux-ci ont vite dominé l’agenda du Conseil à partir de 1990 et ont été un des éléments les plus frappants de la transformation de l’Onu. La nature même de ces conflits, concentrés sur un seul territoire national, unie au caractère non étatique de certaines des forces en lice, a souvent comme conséquence de rendre bien plus difficile l’arrêt des combats et la séparation des forces. En effet, elle crée la nécessité préalable de se pencher sur la problématique sous-jacente du conflit – une nécessité qui ne se présente pas dans le cas des conflits interétatiques. Une fois les combats arrêtés et les forces séparées, la communauté internationale ne peut éviter un engagement profond et prolongé dans le temps pour s’assurer que des mécanismes soient mis en place pour éviter la reprise de la violence. Le pourcentage de conflits internes, apparemment terminés, qui retombent dans la guerre peu de temps après est dramatiquement haut.

Ensuite, la création du Tribunal pénal international, aspiration devenue réalisable grâce à la fin de la guerre froide, a été très justement applaudie comme une grande victoire juridique et politique. Mais l’autre face de la monnaie est que, si des combattants risquent d’être menés devant la justice à la fin d’un conflit, ils seront moins disposés à y mettre un terme. Faut-il poursuivre la justice à tout prix, même à celui de la prolongation d’un conflit ? L’objectif de la paix et celui de la justice ne sont pas toujours convergents et nécessitent, parfois, de faire un choix. Confrontée au dilemme entre donner la priorité à la justice ou favoriser la recherche de la paix, l’opinion publique, bien mieux renseignée de nos jours grâce au développement de l’informatique et des réseaux sociaux, peut aussi compliquer la tâche des médiateurs. Au-delà du dilemme paix/justice, le rôle croissant de l’opinion publique a ajouté un nouveau facteur de complexité à la tâche de ceux qui cherchent à rétablir la paix, puisque c’est une tâche qui, pour de bonnes raisons, se mène bien mieux dans l’ombre.

La troisième catégorie s’applique au monde arabe. Personne n’envisage de négocier avec des forces nihilistes particulièrement brutales qui cherchent à ramener le monde à l’ère pré-westphalienne et manquent totalement de légitimité nationale ou ethnique, comme al-Qaida, Daesh ou leurs alliés. Mais la stigmatisation à large spectre de toutes les forces qui ont eu recours à des actes de terreur (ou refusent de l’exclure, mais qui ont démontré leur capacité de contrôler et même d’arrêter la violence) et poursuivent une cause légitime avec suffisamment d’appui populaire pour les rendre politiquement incontournables, crée un obstacle d’envergure pour ceux qui s’efforcent de trouver des voies de solution négociées. L’exemple le plus frappant est celui de l’exclusion du Hamas.

UN CHOIX DÉTERMINANT. De nos jours, il est difficile d’échapper entièrement à une certaine sensation de désordre et de déboussolement quand ceux qui gèrent les problèmes internationaux semblent désorientés eux-mêmes et que les solutions leur échappent. C’est comme si nous traversions un détroit qui n’apparaît pas sur nos cartes bathymétriques. Quels sont les règles et les critères ? Quelle voie suivre ? À qui recourir pour nous conseiller ? Quelle autorité peut trancher ?

Le drame de la Syrie, dans sa sixième année déjà, est un cas notoire de déboussolement. Trois envoyés spéciaux de l’Onu ont déjà échoué ! Comme si le secrétaire général pensait que les fruits mûrissent à force d’être jetés contre le mur de façon répétée. Aujourd’hui, on se sait pas si l’on cherche à assurer l’aide humanitaire, à obtenir un cessez-le-feu ou à trouver une solution politique. Une telle approche ne peut avoir d’autre résultat que de soulever des expectatives et ainsi, face à l’échec prévu, de dévaluer la monnaie de la négociation.

Ceci suscite une autre question d’actualité : l’importance de faire un choix intelligent quand il s’agit de nommer le nouveau secrétaire général de l’Onu. Un médiateur chevronné sait que tous les conflits ne sont pas susceptibles d’une solution négociée et que, s’il intervient au mauvais moment, son utilité en souffrira. Dans cette période d’incertitude qui se prolonge, il faut éviter de désigner, une fois de plus, un secrétaire général sans expérience. Comme nous l’avons vu, le secrétaire général de l’Onu est potentiellement un leader de la diplomatie internationale. C’est au Conseil de sécurité, et tout d’abord à ses cinq membres permanents, que la Charte a donné la responsabillité de le proposer. Espérons qu’il prendra cette responsabilité au sérieux.

Les procédures actuellement en marche au siège de l’Onu, où une douzaine de candidats est soumis à des interrogatoires des représentants des états membres, sont intéressantes, mais ne révéleront pas si un candidat possède l’expérience et le tempérament nécessaires. Cela ne peut être déterminé qu’à huis clos par le Conseil. C’est une épreuve d’une importance transcendantale. Si on ne peut pas choisir la meilleure personne pour être le diplomate en chef de la diplomatie internationale, il est difficile d’imaginer comment être à la hauteur des défis qui nous accablent. •

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