Les élections hongroises

parAlbert KALAYDJIAN, chargé de mission au Sénat
10 Avril 2018
Actualité

Dimanche dernier, les Hongrois se sont rendus aux urnes pour élire leur nouveau Parlement.

Le pays, sa politique et ses méthodes de gouvernement ont donc tout naturellement fait couler beaucoup d'encre ces derniers temps. En réalité, pour celui qui visite Budapest, il est clair que le Parlement joue un rôle essentiel dans la vie politique hongroise. La Hongrie a un passé parlementaire ancien – une tradition née dans l’Empire austro-hongrois – et veut se construire un avenir démocratique, ce qui s'annonce plus malaisé. Le régime hongrois exerce, en outre, une forte influence politique en Europe centrale et orientale. N’oublions pas que c’est de Hongrie qu’est parti, en 1988, le processus décisif provoquant l’effondrement du camp communiste dans toute l’Europe.


LE POIDS DE L'HITOIRE. Pour comprendre les spécificités de la vie politique hongroise, il convient de revenir sur trois points. 

Le premier est la force du sentiment national. La Hongrie est un État-nation fondé sur le droit du sang. L’État magyar s’est construit en Europe centrale et orientale d’abord contre la Pologne qui installa brièvement, au XVe siècle, sur le trône de Saint-Étienne un roi Jagellon. Les mouvements nationaux se sont, ensuite, développés contre l’Autriche des Habsbourgs, aboutissant au compromis de 1867 qui instaura un empire bi-national, l’Autriche-Hongrie. La fête nationale commémore de triste mémoire le 4 juin 1920, jour de la signature du traité de Trianon, lequel réduisait des deux tiers le territoire de la Hongrie "historique". Cette date est devenue la journée de solidarité de tous les Hongrois de par le monde. Ainsi, l’article D de la Constitution reconnaît une responsabilité de l’État envers ses "ressortissants" vivant hors du pays et leur confère d’autorité la double nationalité.

Le deuxième point est la permanence d’un sentiment islamophobe. La Hongrie a été occupée en 1526 par l’Empire ottoman, après le désastre de la bataille de Mohács. Les Magyars devront attendre la paix de Karlowitz, en 1699, pour sortir du giron ottoman et passer sous domination autrichienne. Ces cent soixante-dix ans d’occupation ont laissé des traces dans la mémoire nationale et fondent l’opposition farouche – au mieux l’extrême méfiance – de la population face aux vagues d’immigration en provenance des pays musulmans perçues comme un nouvel "envahissement". La violente hostilité à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne s’explique dès lors.

Enfin, troisième point, il existe dans le pays une tradition autoritaire. Les exemples sont multiples : les rois d'autrefois, l’amiral Horty – amiral sans flotte d’un pays ayant perdu sa façade maritime et qui fut un quart de siècle durant (1920-1944) le régent de Hongrie –, Mathias Rakosi et sa dictature communiste sévère, puis celle, plus souple, de Janos Kader. Si la tentation autoritaire est récurrente, elle est aussi balayée par des mouvements de libération, à l'image de la révolution de 1848 ou du soulèvement de 1956 avant 1988.


LA DEMOCRATIE EN HONGRIE. Elle est récente bien que le parlementarisme remonte au Moyen Age. Les magnats hongrois siégeant à la Diète sont parvenus à limiter les pouvoirs des rois, puis, sous le règne de l’empereur François-Joseph Ier, les élections ont rythmé la vie politique hongroise avec, dans un premier temps, un régime électoral censitaire et une domination impérialiste sur les minorités slaves.

Mais c’est de Hongrie que les communistes réformateurs Imre Poszgai, Miklos Nemeth et Karoly Grosz vont imposer, de janvier 1988 à octobre 1989, la fin du monopartisme, le principe des élections libres et la dissolution du Parti socialiste ouvrier hongrois, né en 1956 sur les décombres du Parti des travailleurs hongrois, lui-même issu, en 1947, de la fusion du Parti communiste, du Parti social-démocrate et du Parti agrarien.

La démocratie hongroise a alors dû emprunter au monde ancien beaucoup de structures partisanes récentes. Un Parti socialiste hongrois a été refondé en novembre 1989. Assez vite, le pouvoir sera partagé avec les opposants de centre droit du Forum civique hongrois, dirigé par Josef Antal, puis à sa mort, en 1994, par Peter Boross.

Le Forum, lui aussi, a une histoire : le Parti des petits propriétaires était sous le règne de l’amiral Horthy "LE" parti de Hongrie. Entre 1945 et 1948, il avait dirigé le pays avant la prise de pouvoir par les communistes. Il renaît en 1989 et s'associe avec l'Alliance des démocrates libres, parti libéral apparu au même moment. Viktor Orban, l’actuel Premier ministre, en était un jeune militant. Ce Forum civique, de tendance démocrate chrétienne, va mener la Hongrie vers une économie de marché et permettre, en 1998, sa candidature à l’entrée dans l’Union européenne. Mais, au sein du parti libéral des Démocrates libres, l’organisation de jeunesse, le FIDESZ, va revendiquer d’abord son autonomie, puis son indépendance. À sa tête, Viktor Orban, alors âgé de 35 ans en 1998, devient pour la première fois, Premier ministre de Hongrie. Il succédait à Gyula Horn, ex-communiste, revenu au pouvoir en 1994 pour freiner les mesures libérales mises en œuvre.

En 1998, Orban est l’homme du monde nouveau, un libéral de centre droit, le plus jeune chef de gouvernement d’Europe à l’époque. Il va engager de nouvelles réformes libérales, plus ou moins imposées au pays. Mais, battu de justesse en 2002, il va peu à peu transformer son mouvement et l’engager sur la voie du conservatisme, de l’euroscepticisme et de l’étatisme. Nantie de la majorité relative, c’est la coalition contre-nature de l’Alliance des démocrates libres, libérale, et du Parti socialiste hongrois qui l’a privé de son maintien à la Primature. Il ne l’oubliera jamais et saura en tirer toutes les leçons. 

Pendant ce temps, le Parti socialiste hongrois est au pouvoir avec Petar Medgessy, Ferenc Gyurcsany et György Gordon Bajnai. Tandis que les socialistes affrontaient des scandales de corruption et que les libéraux payaient le prix de leur compromission, le parti FIDESZ durcissait ses positions. Viktor Orban, avant une bonne partie de la classe politique hongroise, avait pressenti une demande de l’électorat vers plus de protection sociale, plus de régulation économique et plus d’autorité politique. En 2010, il revient au pouvoir. Il gagne les élections suivantes en 2014. Il a mauvaise réputation en Europe. On va jusqu’à sous-entendre que la Hongrie n’est plus tout à fait une démocratie. Il faut dire que le libéralisme et, depuis la crise des migrants, la confiance dans l’Union européenne, n’y ont plus cours.


LE SYSTEME POLITIQUE HONGROIS. La Diète hongroise, chambre unique, compte 199 membres, élus pour une durée de quatre ans : 106 d'entre eux sont élus au scrutin uninominal à un tour au sein de circonscriptions et 93 au scrutin proportionnel de liste au sein du pays. Les électeurs disposent donc de deux bulletins de vote, l’un pour se prononcer en faveur d’un candidat, l’autre pour choisir un parti politique. La Hongrie reconnaît treize minorités nationales : Allemande, Arméniene, Bulgare, Croate, Grecque, Polonaise, Rom, Roumaine, Ruthène, Serbe, Slovaque, Slovène et Ukrainiene. Les électeurs appartenant a l'une d'entre elles et inscrits comme tels votent pour les listes de leur minorité et non pour les partis nationaux. Seul un quart des suffrages requis par les partis nationaux est nécessaire pour qu’une liste représentant une minorité puisse obtenir un mandat. Les minorités n’ayant pas obtenu de sièges peuvent déléguer des porte-paroles au Parlement.

Seuls les partis concourant dans au moins 27 circonscriptions réparties dans au moins 9 comtés et Budapest peuvent présenter une liste de candidats au scrutin proportionnel. Pour être représenté au Parlement, un parti doit obtenir au minimum 5 % des suffrages exprimés ; une alliance de deux partis, 10 % ; et l’alliance de trois partis (au plus), 15 %. Les sièges relevant des listes nationales sont répartis proportionnellement aux suffrages exprimés. Les suffrages qui n’ont pas permis à un parti de remporter des sièges sont ensuite redistribués.

Le 8 avril dernier, le FIDESZ a obtenu 48,8 % des voix aux élections législatives, offrant ainsi la perspective de décrocher 133 places au Parlement (sur 199), contre 117 précédemment. La Hongrie donne ainsi un quatrième mandat – un troisième mandat consécutif – à Viktor Orban. "Non" aux migrants et aux immigrés, "oui" au maintien de l’identité nationale, ont été les thèmes majeurs de la campagne électorale, dénoncant "une offensive de liislam" et accusant la politique de Bruxelles de "saper les fondations chrétiennes de l'Europe et de transformer les sociétés de chaque État membre en société multiculturelle". Viktor Orban appelle solennellement ses homologues européens à le rejoindre au sein d'une alliance globale contre l'immigration de masse, notamment en provenance des États musulmans. En Pologne, en Autriche, en Tchéquie, en Slovaquie, en Bulgarie et en Roumanie, cette proposition est favorablement reçue.

N'ayant pas de véritable programme, la coalition gouvernementale s'est, elle, appuyée sur son bilan : 4 % de croissance du PIB en 2017, augmentation massive du salaire minimum (6 % en 2016, 15 % en 2017, 8 % en 2018) et un taux de chômage à 3,8 %. En face, la coalition de gauche présentait un écologiste, Gergely Karacsony, à la primature, avec un programme considéré démagogique et inapplicable : baisse sensible du prix de l'essence, de l'électricité, du chauffage ; augmentation de 50 % des salaires dans le secteur de la santé ; doublement en une fois des pensions de retraite les plus faibles ; suppression de la flat tax ; taux unique de la TVA ; suppression de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés ; abolition de la Constitution actuelle (référence à Dieu, comme monnaie nationale, règle d'or du déficit public à 50 % du PIB). Elle a, en outre, ouvertement demandé au Jobbik un Cartel des "non" électoraux pour le scrutin majoritaire. Or, le Jobbik est un parti antieuropéen, protectionniste, étatiste, nationaliste, réactionnaire et xénophobe, qui remet en cause le tracé des frontières issu du traité de Trianon de 1920. Il vénère le régime autoritaire de l'amiral Horthy et dénonce la République. Il est aussi antisémite, adversaire irréductible d'Israël et admirateur de l'islam, comme rempart contre la modernité et défenseur des vertus traditionnelles. À condition, bien entendu, que "les musulmans restent chez eux". Avec un peu plus de 19 % des voix, l’extrême droite hongroise fascisante devient la seconde force politique du pays. Le Jobbik ne gagnerait cependant qu'un seul siège au Parlement, portant ainsi le nombre de députés à 25, ce qui le placerait derrière les partis de gauche pris ensemble.

Les résultats de l’élection hongroise ne sont pas une bonne nouvelle pour l’Europe. En réalité, le résultat hongrois est à apprécier à la lecture que fait l’ensemble des pays d’Europe centrale et orientale de la question des migrants. Une même méfiance gagne l’Europe du Nord et, par capillarité, d’autres États membres, comme l’ont révélé les récentes élections italiennes. La Commission européenne, si elle semble, enfin, prendre la mesure du danger, ne propose pas de solution. Les partis nationaux qu’elle soutient en pointillé essuient échec sur échec. La Hongrie, dimanche dernier, est devenue le chef de file de l’opposition à Bruxelles. Une leçon à méditer quand il faudra bientôt choisir un successeur à Jean-Claude Juncker.

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