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Le mythe du déclin de l’Occident

parNicolas BOUZOU, économiste, président d’Astérès

Articles de la revue France Forum

Dans les grandes périodes de changement, la peur de l’avenir, le diagnostic du déclin et la haine de soi font vendre.

Ainsi, pour attirer l’attention des médias, dites que l’économie collaborative ruine les états, que la mondialisation augmente les inégalités et que la fin de l’Occident est proche, menacé d’un même mouvement par l’« asiatisation » du monde et son islamisation. Peu importe que ces assertions soient parfaitement hermétiques aux faits. Elles résonnent harmoniquement avec les « passions tristes » des opinions publiques.

Parmi ces thèses réactionnaires, celle du déclin de la civilisation occidentale tient une place centrale, notamment parce qu’elle semble avoir pour elle la vérité de la macroéconomie. Depuis 2009, les économies occidentales représentent moins de 50 % du PIB mondial. À l’inverse, les pays dont le poids dans l’économie mondiale a le plus progressé depuis les années 1990, à l’exception de la Pologne, ne sont pas situés en Occident. Il s’agit de la Chine, de l’Inde, de la Corée du Sud, de l’Indonésie et de la Thaïlande. Simplement, les chiffres, dans cette affaire, ne nous disent pas tout. La géographie ne se confond pas avec les idées. C’est la libre circulation des idées en général, et des innovations en particulier, qui constitue l’un des principaux changements opérés à partir du début des années 1990. Or, cette mondialisation des idées correspond beaucoup plus à une occidentalisation du monde qu’à une « asiatisation » ou à une « islamisation » de l’Occident.

Il suffit de voyager pour le constater. La culture s’est, jusqu’à maintenant, plus diffusée de l’Ouest vers l’Est qu’inversement. Il faut entendre, ici, la culture au sens large. La culture restreinte à l’art voyage dans les deux sens et de nombreux artistes non occidentaux, de Yue Minjun à Haruki Murakami, connaissent un large succès en Occident. En revanche, une métropole asiatique moderne ressemble plus à une métropole américaine que ce n’était le cas il y a vingt ans. Les villes asiatiques empruntent bien des traits, souvent pour le pire, aux grandes villes américaines. Mais l’inverse n’est pas vrai. Les quartiers chinois de New York, Londres ou Montréal abritent une communauté, mais son style n’infuse guère en dehors. La diffusion des langues ne nous raconte pas une autre histoire. Le mandarin est la langue officielle de 900 millions de personnes, mais à peine 200 millions d’individus la pratiquent comme deuxième langue. Certes, son apprentissage est difficile et peut s’ériger en barrière. Ce chiffre n’en reste pas moins modeste. À l’inverse, l’anglais n’est la langue officielle que de 370 millions d’individus, mais constitue une deuxième langue pour plus de 600 millions de personnes. Le français n’est pas en reste puisque, s’il est la langue maternelle de moins de 80 millions de personnes, il est appris comme deuxième langue par plus de 150 millions d’individus.

Qu’on ne prenne pas ce qui précède pour de l’ethnocentrisme. Ayons la faiblesse de penser que, si nous étions nés en Asie, notre analyse serait strictement la même. Le développement de la Chine ou de l’Inde a commencé à partir du moment où ces pays ont mis en place des réformes qui avaient été éprouvées en Occident. Les spécificités culturelles et historiques n’entrent pas en contradiction avec l’universalité du fonctionnement de l’économie. Certaines règles sont bonnes partout, d’autres sont mauvaises quel que soit l’endroit. Le socialisme et le nationalisme n’ont jamais rien produit de bon. Aucun pays ne s’est développé sans liberté d’entreprendre et d’échanger, ce qui n’empêche pas des interventions correctrices ou incitatrices des états, selon les contextes. Le respect des droits de propriété, l’ouverture au commerce mondial, la liberté d’entreprendre ne sont plus le monopole de l’Occident, mais ont été pratiqués, de fait, d’abord en Occident. Ces valeurs occidentales sont plus vivaces que jamais et, paradoxalement, c’est leur extension mondiale qui explique la diminution du poids économique et géopolitique de l’Occident. 

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