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La musique des hémisphères

parNicolas VIEL, musicologue

Articles de la revue France Forum

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Comme chacun sait, la musique n’est pas un langage, mais un vecteur, une voie, un messager, une sorte d’ange ailé qui porte sur lui nos pensées musicales indicibles (« Va pensiero, sull’ali dorate... ») vers une assemblée muette que nous espérons à l’écoute. L’art musical, touchant à « la pensée à l’état de fermentation1 », atteint les régions les plus reculées de nos esprits et les éclaire d’un trait fugace.

Faisant son biotope de l’obscurité sémantique, du flou émotionnel, des contours imprécis que peinent à dissiper les lumières crues du vouloir dire, la musique possède d’innombrables vertus inaccessibles au langage, comme celle de permettre de s’exprimer à ceux qui ne sont pas à l’aise avec les subtilités verbales du commun, les conventions, les implicites.

Les autistes, c’est un fait constaté, s’emparent souvent de la musique pour exprimer ce qu’ils ne peuvent dire. Depuis des années, au conservatoire de Clamart, une classe permet à de jeunes personnes « en situation de handicap mental » de pratiquer la musique et de participer à des spectacles. Cette démarche axée sur l’écoute mutuelle et l’improvisation améliore l’autonomie, l’insertion sociale et l’accès à la culture de ces publics (pas si) différents. Elle adoucit aussi l’image archaïque, élitiste et négative que véhicule le modèle conservateur du... conservatoire.

Une des formes d’autisme les moins handicapantes est le syndrome d’Asperger (SA). Parfois désigné dans le monde anglo-saxon par l’expression « syndrome savant », ce trouble du spectre autistique affecte surtout les capacités sociales et augmente d’autant les capacités cognitives. Les autistes atteints du SA, les « aspies » comme ils se nomment entre eux, sont souvent considérés comme des personnes asociales, mais peuvent avoir des capacités de mémorisation et/ou de calcul arithmétique hors du commun. La musique peut donc se révéler, pour eux, un mode privilégié pour éprouver le plaisir d’exister.

Un petit orchestre s’est même récemment créé autour d’un jeune musicien aspi, Émilien Hamel, qui dirige ses propres oeuvres. Constitué de musiciens autistes pour l’essentiel, le Fol Ensemble s’efforce de donner une image différente du handicap. Au cours d’un entretien récent sur France Culture, le jeune compositeur et chef d’orchestre a confié les caractéristiques de sa première création, donnée en décembre dernier au conservatoire de la rue de Madrid à Paris. Cette oeuvre, une pièce minimaliste en cinq mouvements, est conçue à « l’image des cinq caractéristiques de l’autisme : détail, récurrence, incongruité, rectitude, décalage2. » Pour Émilien, il s’agit d’« inciter les autistes à ne pas mettre toute leur énergie à essayer d’être “normal”, mais à s’autoriser à assumer leur différence », en particulier par rapport au langage.

Alors merci au Fol Ensemble pour cet indicible plaisir musical.


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1. Hegel, Philosophie de l’esprit, « GF », Flammarion, 2012.
2. Entretien à France Culture, 6 décembre 2016. 

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