L'avenir de l'Etat providence en Europe : l'Etat providence est-il juste ?

parPierre MEHAIGNERIE, ancien ministre
6 Décembre 2016
Actualité

Mise en perspective du colloque "L'avenir de l'État providence en Europe". L'ensemble des interventions sera publié sur notre site, rubrique "Actualités". Ce colloque était organisé par le Cercle de Belém et l'institut Jean Lecanuet. Ce colloque était organisé par le Cercle de Belém et l'institut Jean Lecanuet, le 2 décembre 2015, au palais du Luxembourg.

Le modèle de l’État providence est confronté à trois défis majeurs.

Le premier est celui de la mondialisation. Celle-ci a permis de sortir de la pauvreté plusieurs centaines de millions de personnes, mais exige en contrepartie un haut niveau de compétitivité des entreprises et donc une maîtrise des charges pesant sur les acteurs économiques.

Le deuxième défi est celui du vieillissement. Des démagogues d’extrême droite, comme d’extrême gauche, osent promettre le retour à la retraite à 60 ans pour tous alors même que la France vieillit. En effet, l’espérance de vie ne cesse d’augmenter et les Français bénéficient, aujourd’hui, en moyenne de 27 années de retraite pour les femmes et de 24 années pour les hommes, soit cinq de plus que leurs voisins européens. Il est tout à fait clair que l’adoption d’une telle mesure reviendrait à un suicide économique.

Le troisième défi, insuffisamment perçu, est celui des mutations technologiques et de leurs effets sur le monde du travail. La montée en puissance des travailleurs indépendants questionne sur nos futurs modèles sociaux et sur leurs schémas de financement.

Nous ne pouvons que partager l’analyse de Alexander Fink, selon laquelle il faudrait réintroduire plus de responsabilité à tous les niveaux. Cela étant, un tel bouleversement des schémas de pensée de nos concitoyens nécessiterait certainement des efforts. Rêvons qu’il devienne alors possible de parvenir à transformer cette forme anesthésiante de déresponsabilisation globale en une responsabilité sociétale universelle et dynamique portée par chacun pour le bien-être de tous.

Beaucoup des problématiques mises en avant pour l’Italie et la Grèce valent pour la France : une certaine inadaptation au changement, le plaisir de se réfugier dans des vieilles lunes du passé et des rigidités de systèmes trop complexes et sclérosants.

Tous s’accordent à vouloir adapter le modèle social européen. Ainsi, l’Europe représente 7 % de la population, 25 % des richesses, mais 50 % de la protection sociale dans le monde. Un tel déséquilibre peut-il être maintenu dans les années à venir ? Il faut reconnaître que l’impact redistributif du système social, supérieur à celui de la fiscalité, rend tout changement pour le moins compliqué.

De plus, en France, 32 % du PIB est consacré à l’État social et à l’Etat providence, soit dix points de plus que la moyenne des autres pays européens. Cependant, le rapport entre les 20 % les plus favorisés et les 20 % les moins favorisés est resté stable, même pendant la crise de 2008-2009, précisément du fait du poids de ces transferts sociaux. Paradoxalement, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, une politique de type travailliste a été conduite, malheureusement accompagnée d’une symbolique inadaptée en matière de justice sociale. Il faudrait, à présent, plutôt une politique de type libéral, mais accompagnée de symboles forts de justice sociale.

La France peut se caractériser par deux chiffres. Un temps de travail annuel de 616 heures par habitant, alors que la moyenne européenne est de 690 heures. Les pays scandinaves, ayant su maintenir leur modèle social, sont à 720 heures. Cette différence est lourde de conséquences au moment même où les actifs doivent supporter trois générations : celles des septuagénaires et des octogénaires, mais aussi celle des nonagénaires en pleine croissance !

Le second chiffre concerne les dépenses de l’État providence : au cours des 25 dernières années, 6,1 % de PIB y a été consacré, contre 2,4 % pour la moyenne des autres pays européens. La différence représente annuellement de 80 à 90 milliards d’euros.

Dès lors, dans le monde actuel, peut-il subsister une exception française qui permette tout à la fois l’État providence le plus développé, le nombre d’heures travaillées par mois le plus faible et l’âge de la retraite le plus précoce ?

La réponse, hélas, est négative. La solution semble être de montrer que l’adret de l’État providence a un ubac caractérisé par la baisse de l’investissement, l’aggravation du chômage, et l’endettement inexorable du pays. Il faut passer du welfare au workfare pour récompenser le travail, l’initiative et la responsabilité.

Pour ce faire, il faut d’abord dire la vérité, même si les électeurs ne la gratifient pas toujours. Raymond Barre répétait que, même au portefeuille du ministère de l’Agriculture, il ne fallait pas donner dans la démagogie et le court terme, mais penser sur le long terme. Il n’a pas été récompensé par les électeurs. Publiant un article sur l’emploi, François Furet écrivait dans Le Monde après les élections de 1997 : « La droite n’a pas dit grand-chose de peur de déplaire et la gauche a dit des choses fausses pour plaire. » Nous ne sommes pas sortis de cette aporie.

Être juste, est-ce supprimer le jour de carence pour les fonctionnaires ? Est-ce répondre positivement à des exigences injustes ? Est-ce multiplier les politiques publiques ? Elles sont un moyen de réduire les inégalités, sous réserve qu’elles produisent des services à des prix raisonnables. Or, les systèmes non soumis à la concurrence s’autoalimentent et préservent leur pouvoir en additionnant les complexités, comme l’illustre remarquablement l’ouvrage Le Labyrinthe. Compliquer pour régner1.

Être juste consiste, aujourd’hui, à introduire davantage de responsabilité, de flexibilité et de simplicité. Ainsi, l’échec des Agences régionales de santé est le résultat d’une politique du top down plutôt que du bottom up : les directives nationales uniformes ne sont pas adaptées à la diversité des situations locales. En qualité de président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, j’avais vainement prôné des ONDAM2  régionaux : nous aurions confié une enveloppe à la région Bretagne ou à la région Languedoc-Roussillon pour mener une politique de proximité et lutter plus efficacement contre les fraudes. Cela n’a pas été possible dans le système centralisé français. Nos dépenses pharmaceutiques annuelles sont supérieures à 9 milliards d’euros. La pharmacie du quotidien fait-elle partie des éléments catastrophiques qu’il convient de protéger par une intervention de l’État providence et de ses fonds publics empruntés ?

Comme le disait Pascal Lamy, demander davantage de flexibilité reste un tabou. Or, il est choquant que la remise en cause des 35 heures soit un sujet tabou alors que le chômage des jeunes n’en est pas un. Si nous voulons adapter le modèle social en fonction des trois défis que nous devons surmonter, il faut trouver des mesures de justice et d’exemplarité permettant de convaincre les Français. Lutte contre les inégalités de départ, résorption des écarts entre régimes de départ en retraite, revalorisation du travail manuel, formation professionnelle tout au long de la vie, telles sont les pistes que nous devrions emprunter.

Un sondage effectué par l’Ifop en mai 2015 demandait aux Français de se prononcer de la manière suivante : « Pour chacun des mots suivants, indiquez s’il évoque pour vous quelque chose que vous aimez ou quelque chose que vous n’aimez pas. » 96 % des personnes interrogées déclarent aimer l’initiative, 94 % la responsabilité, mais seulement 30 % l’Etat providence. Sondage étonnant s’il en est !

Un membre du Soviet suprême, après la chute du mur de Berlin, soulignait que les peuples soviétiques demandaient la liberté et le pouvoir d’achat des peuples de l’Europe de l’Ouest, mais ajoutait que le parcours serait long et lent, car il leur faudrait réapprendre l’initiative et la responsabilité individuelle.

J’ai subi un triple pontage à l’âge de 48 ans. Pendant ma période de convalescence, Georges Chavanes, député-maire d’Angoulême, m’a transmis une étude épidémiologique américaine comparant 2 000 pontés à 2 000 non pontés. Il en ressortait que l’espérance de vie des pontés était supérieure à celle des non pontés. Beaucoup l’expliquent spontanément par le fait qu’une nouvelle « tuyauterie » dure forcément plus longtemps qu’une vieille. La vérité est que la victime d’un tel choc fait ensuite beaucoup plus attention à sa propre personne et adopte une attitude responsable dans sa vie quotidienne. Telle est la clé du système d’adaptation sociale dont la France a besoin.


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1. Jacques Bichot, Manitoba/Les Belles Lettres, 2015. (NDLR)
2. Objectif national des dépenses d’assurance maladie. (NDLR)

 

 

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