L'avenir de l'État providence en Europe : penser l'État providence comme un système d'assurance

parAlexander FINK, Professeur à l’université de Leipzig (Allemagne), Cercle de Belém
21 Novembre 2016
Actualité

Troisième intervention du colloque "L'avenir de l'État providence en Europe". L'ensemble des interventions sera publié sur notre site, rubrique "Actualités". Ce colloque était organisé par le Cercle de Belém et l'institut Jean Lecanuet, le 2 décembre 2015, au palais du Luxembourg.

L’État providence a pour objectif de protéger les individus contre des catastrophes majeures et non contre des problèmes courants. 

Si l’État doit aller au-delà de ces catastrophes, les dispositifs devraient se limiter à des "transferts monétaires" visant à compléter les interactions de marché et non à les remplacer. Au lieu de mettre en place des services publics gouvernementaux ou de recourir à la régulation pour parvenir à une certaine configuration de marché, mieux vaudrait recourir à des transferts vers les personnes considérées comme ayant réellement besoin d’aide.

Ma définition de l’État providence est relativement large. Elle recouvre toutes les activités que mène l’État pour éviter les situations sociales difficiles ou pour réduire certaines formes d’inégalité. Cette définition peut se décomposer en trois volets.

Le premier est composé de l’assurance sociale ou, autrement dit, de la protection sociale, c’est-à-dire l’assurance vieillesse, l’assurance santé et l’assurance chômage. Ces éléments sont ceux les plus fréquemment retenus dans la définition de l’État providence.

S’y ajoute l’ensemble des services de l’Etat visant à réduire les inégalités, comme les logements sociaux ou encore l’éducation nationale. Ici, l’État fournit directement des services aux individus considérés comme en ayant le plus besoin, voire à l’ensemble de la population, comme c’est le cas pour l’éducation. Le troisième volet est la réglementation qui entend, elle, assurer une forme de redistribution à travers, par exemple, le salaire minimum ou le contrôle des loyers. Ces mesures ne visent pas à réduire l’asymétrie d’information entre acteurs de marché, mais réallouent les ressources d’une partie de la société à d’autres.

Mes propositions en matière d’assurance sociale sont largement influencées par ma perception de l’État providence en Allemagne, mais elles peuvent, pour la plupart, s’appliquer à d’autres pays. Mon opinion est que la Sécurité sociale devrait être financée uniquement par l’impôt sans avoir besoin de passer par une sorte de dispositif clandestin au sein du système de retraite obligatoire de l’État. Ce dernier devrait, à mon sens, être éliminé. Il n’est qu’un "véhicule" pour permettre aux individus d’épargner aujourd’hui afin de recevoir un revenu pendant leur vieillesse, mais il ne fournit aucune protection contre les "événements catastrophiques" (les accidents graves de santé).

Pour ce qui est de la santé, il conviendrait donc de conserver un système obligatoire d’assurance contre les accidents graves de la santé. Il n’est pas nécessaire d’obliger tout un chacun de s’assurer contre le rhume ou la grippe. En revanche, tout le monde devrait cotiser pour se prémunir contre les catastrophes. Cette cotisation devrait être obligatoire pour éviter les comportements de "passager clandestin". Les primes payées pour se garantir devraient être découplées des salaires pour se fonder sur les risques encourus par les individus au moment où le contrat d’assurance est souscrit. 

Des aménagements devraient également être possibles : chacun devrait pouvoir choisir de ne pas s’assurer contre certains risques. 
Ces aménagements permettraient de réorienter l’État providence vers des services pour lesquels il est le meilleur. Il est ainsi particulièrement efficace pour assurer contre les catastrophes majeures, celles que les acteurs de marché ne souhaitent pas mutualiser.

Le second groupe de propositions concerne les services gouvernementaux destinés à réduire les inégalités qui pourraient être remplacés par des transferts monétaires. Par exemple, les écoles publiques pourraient être remplacées par des "coupons scolaires" (vouchers) qui seraient proposés aux plus défavorisés. De même, les logements sociaux seraient remplacés par des aides au logement selon le même principe. Ainsi, les personnes qui ont besoin de cette aide la conserveraient tout en exerçant un vrai choix d’école ou de logement. Dotées d’un pouvoir d’achat accru, elles pourraient décider en fonction de leurs préférences personnelles l’endroit où elles souhaitent vivre, étudier ou envoyer leurs enfants à l’école. Ce type de mesures compléterait les interactions de marché au lieu de les remplacer et laisserait jouer le mécanisme des prix pour allouer les ressources sur ces postes.

Le dernier groupe de mesures rassemble celles destinées à la redistribution et non à la correction des asymétries d’information. Ma proposition consiste à les remplacer purement et simplement par des transactions fiscales. Par exemple, les personnes ayant une rémunération relativement faible pourraient bénéficier d’un impôt négatif au lieu d’un salaire minimum. Celles qui gagnent en deçà d’un certain montant recevraient une aide, alors que les autres devraient acquitter l’impôt sur le revenu. Au lieu de contrôler les loyers, l’État pourrait aussi proposer des aides aux logements. Ces mesures permettraient de réduire les conséquences indésirables des mesures actuellement en place dans beaucoup de pays. En outre, elles amélioreraient la transparence des coûts liés à ce type de redistribution. En effet, ces transactions apparaîtraient dans les comptes publics au lieu d’être imposées aux acteurs de marché, ce qui ne permet pas un bon suivi.

L’objectif est de réorienter l’État providence sur ce qu’il fait de mieux, c’est-à-dire la protection contre les catastrophes majeures, celles que les individus peuvent difficilement assurer par eux-mêmes. Et si nous voulons que l’Etat providence dépasse ce seul périmètre, les mesures mises en place devraient compléter les mouvements de marché au lieu de les remplacer.

 

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